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tenu, il osa réclamer davantage, il demanda à Mme de Stein de quitter un époux si fort au-dessous d’elle par l’intelligence et de venir vivre avec lui, offrant pour sa part de renoncer à tous les honneurs, à tous les avantages de la situation qu’il occupait près du grand-duc. Mme de Stein, digne et pourtant émue, écarta la proposition. « Ce qu’on vous demande, ce n’est pas le renoncement à votre amour, c’est le renoncement dans l’amour. » Goethe refusa de se soumettre, n’ayant jamais appartenu à cette race des amans qui souffrent. A dater de ce moment (1786), les astres cessèrent de lui commander d’attacher indissolublement sa destinée à Mme de Stein; il se prit à se reconquérir, et s’en alla voyager en Italie.

Son premier séjour à Rome fut de quatre mois; dès la fin de cette année, il agitait la pensée de s’en revenir à Weimar. Il s’estimait complètement guéri, régénéré; il revenait « à la santé, au sentiment de l’histoire, de la poésie et de l’antique. » C’était assez pour lui de bénéfice; son dévoûment au pays, au grand-duc, aux frais duquel il voyageait royalement, s’opposait à de plus longs retards. Il s’en fallait d’ailleurs de beaucoup que dans les cercles de Weimar cette absence fût envisagée favorablement. On reprochait à Goethe de jeter l’or par les fenêtres, tandis que d’humbles commis mal payés s’escrimaient à dépêcher sa besogne. Le salon de Mme de Stein servait surtout de centre aux malveillans, et la belle Diane vengeresse décochait sur l’Endymion révolté les traits cruels de son carquois, piquée au jeu qu’elle était par le récit de certaine aventure peu à l’honneur de son héros.


II.

Une fois en Italie, Goethe, qui déjà n’était plus dans le septième ciel, retomba sur la terre, et joyeusement s’y laissa vivre. A peine en villégiature à Castelgandolfo, il fit la connaissance d’une aimable et jolie Milanaise en visite chez une de ses amies de Rome. « Ce fut l’affaire d’un moment, un éclair, un caprice, une de ces distractions d’un cœur désormais sûr de lui-même, et qui, ne craignant rien, s’empare pour un instant de l’objet le plus désirable qu’il rencontre. » Goethe ne tarda pas d’apprendre que cette jeune fille était fiancée à un autre, et peut-être alors eut-il quelque remords de l’avoir si rapidement menée à mal. Toujours est-il qu’à cette nouvelle il imprima résolument un caractère plus discret à sa fréquentation; il évita désormais de se trouver en tête-à-tête avec sa maîtresse, et, « sans se départir de sa tendresse pour elle, s’efforça de lui témoigner plus de réserve et plus d’égards. » Cependant le