Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avait dépossédée ; c’est l’épée de la Prusse qui lui a rendu sa couronne et ses états. De telles épreuves prédisposent à l’inquiétude. Assurément la maison de Zæhringen n’a pas à craindre le prochain retour de dangers si pressans ; mais elle gouverne un pays où les passions sont vives, où les partis sont violens, et quand on a pris l’habitude de craindre, on redoute non-seulement les périls, mais les difficultés et les embarras. Baden est un état mixte de 1 million 500,000 habitans, dont les deux tiers sont catholiques et se partagent en libéraux et en ultramontains. Les rapports de l’église et de l’état sont dans le grand-duché la question principale et dominante, problème plus difficile à résoudre en pays catholique qu’en pays réformé. Ce que l’église demande à un gouvernement protestant, c’est la liberté ; ce qu’elle demande à un gouvernement catholique, c’est de la laisser gouverner. — De là d’inévitables conflits, plus graves dans les petits états où le pouvoir impose moins, et, se défiant de sa force, se protège quelquefois en attaquant. Baden est un aimant dont les deux pôles sont l’archevêché de Fribourg et l’université de Heidelberg ; mais cet aimant n’a pas de ligne moyenne. Ce qui manque au grand-duché, c’est un parti mitoyen, qui, se posant en arbitre entre des prétentions extrêmes, ferait sa part à la minorité, et appliquerait les principes dans un esprit de sagesse politique. Craignant de ne pouvoir maîtriser une situation tendue, redoutant ces agitations de la vie publique, qui sont, après tout, la marque et l’honneur d’un pays libre, la cour inquiète de Carlsruhe ne rêve que de s’atteler à plus fort qu’elle ; il lui tarde de se sentir protégée par le bras puissant de la Prusse, et au besoin par cet article 68 qui autorise le président de la confédération du nord à rétablir la sûreté publique dans les états où l’ordre est compromis. Quand pourra-t-elle atteindre à ce port, où il lui sera permis de se reposer et de respirer à l’abri des tempêtes, sans avoir à redouter les anathèmes de l’archevêque de Fribourg et les violences des feuilles ultramontaines, sans avoir aussi à compter avec les hommes de Heidelberg, dont elle a dû rechercher l’appui, — amitié de circonstance qui lui est souvent incommode ?

Entre les deux partis qui se disputent le grand-duché, le choix de la cour ne pouvait être douteux. Le nom prussien est en horreur aux ultramontains comme aux démocrates. Il fallait avoir pour soi les libéraux et s’assurer leur concours. Donnant donnant ; une telle alliance ne pouvait reposer que sur des concessions réciproques, et plus d’une fois elle a été pour le gouvernement grand-ducal un fardeau lourd à porter. Ce qu’on désirait dans les hautes régions de Carlsruhe, c’est de contracter avec la Prusse tous les engagemens possibles, de se modeler sur elle, d’adopter son système militaire dans son immaculée pureté, de confier à un Prussien le portefeuille