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Le joug de l’uniformité pèse à nouveau sur tout le monde. La spontanéité, l’esprit de progrès et d’innovation, sont frappés de mort. Le jury officiel en matière scientifique est la négation de la liberté. Malgré le plus sincère désir de se montrer impartial, ce jury pourra-t-il mettre dans la même balance les doctrines qu’il croit fausses, dangereuses, perverses, et d’autres doctrines qu’il croit vraies, salutaires et nécessaires? De Bonald et de Maistre seraient-ils bons juges du mérite d’un disciple d’Hegel ou de Kant? Ils ne l’auraient probablement pas compris, et ni Fichte ni Schelling n’auraient obtenu leur diplôme.

Un des membres les plus distingués du parti catholique en Belgique, M. Dechamps, a caractérisé d’une façon si exacte le rôle et l’influence des jurys scientifiques, que nous croyons pouvoir reproduire ici ses paroles. « Le jury d’examen, disait-il, n’est pas un jury spécial et professionnel comme la commission centrale de Berlin, c’est un conseil supérieur des hautes études où l’enseignement tout entier vient se centraliser. Le jury, en interrogeant sur tout, enseigne tout. C’est le programme vivant imposé aux universités de l’état, aux universités libres et aux études privées. Les professeurs des universités doivent enseigner d’après les idées, d’après les méthodes que les membres du jury ont adoptées; les professeurs ne sont plus que les répétiteurs des membres du jury. L’élève n’a plus les yeux fixés sur le professeur, mais sur l’examinateur. Les professeurs, ne participant point à l’examen, perdent toute autorité, toute influence sur leurs élèves; cette autorité, cette influence, sont dévolues aux membres du jury. Le jury, placé ainsi au faîte de l’enseignement, est une puissance véritable; c’est le gouvernement de l’enseignement supérieur en Belgique. » On ne saurait mieux montrer la grandeur et le vice de l’institution. Il n’y a rien à ajouter; il suffit de demander si la science doit être gouvernée, si l’enseignement, soumis à la discrétion de ce tribunal suprême, dont les sentences sont sans appel, est vraiment libre.

Ce qui précède nous conduit forcément à préconiser le troisième système. Dans ce système, les facultés officielles et les institutions libres délivreraient les diplômes scientifiques, et un jury nommé par le gouvernement le brevet de capacité exigé pour pratiquer le droit ou la médecine. Chacun rentrerait dans son rôle; les universités s’occuperaient de science, l’état de la police médicale ou judiciaire. Les professeurs des facultés examineraient les élèves pour s’assurer s’ils ont suivi leurs leçons avec fruit, s’ils ont compris les principes. Le jury officiel ne les examinerait que pour se convaincre qu’ils peuvent sans péril, les uns plaider, les autres soigner les malades. Un seul examen final et pratique, c’est tout ce que l’état est en droit d’imposer sous un régime de liberté véritable. Ce système est en