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courir le cercle des questions habituelles. C’est le triomphe complet de la routine et de l’uniformité.

La mission des universités est de développer l’esprit scientifique. C’est à ce titre seulement qu’elles méritent la faveur de l’état et des particuliers. Les hautes études ne portent de fruits dignes des sacrifices dont elles sont l’objet que quand elles sont poursuivies d’une façon désintéressée, dans la pensée unique d’étendre le cercle des connaissances humaines. Or est-ce le résultat que l’on a obtenu? Nullement. La loi ayant tout fait aboutir aux jurys d’examen, les élèves ne travaillent que pour obtenir les diplômes. Le meilleur professeur à leurs yeux est nécessairement celui qui les leur fera conquérir avec le moins d’efforts. Dès lors l’enseignement le plus sec, mais le plus méthodique, le plus facile à réduire en formules, sera le type, et il faudra bien s’y conformer sous peine de paraître dans les jurys avec un désavantage certain. Attelez deux chevaux à un char, c’est le moins ardent qui réglera l’allure. Le système des jurys combinés a donc pour effet d’affaiblir le goût de la science, que les universités ont pour but d’entretenir.

Si les résultats n’ont pas été meilleurs, ce n’est pas la faute de la liberté, c’est la faute de la réglementation. Depuis 1830, la liberté d’enseignement n’a existé en Belgique que de nom. Les hautes études ont été écrasées sous la plus dure des tyrannies, celle du programme. Il faut bien le noter, c’est pour satisfaire les institutions libres que la liberté a été enchaînée. Qu’importe que chacun puisse à son gré ériger une chaire ou constituer une université, si la nécessité de faire subir aux élèves de nombreux examens devant les mêmes jurys force toutes les institutions existantes à suivre la même marche, à prendre les mêmes méthodes, à exposer les mêmes choses de la même manière et dans le même ordre? Ainsi je ne pourrais enseigner le droit romain d’abord, le droit moderne ensuite, ou bien remplacer l’explication d’auteurs anciens par la philologie comparée, car je sortirais du cadre des examens, mes élèves ne seraient pas préparés à les subir, mon institution serait déserte. De cette façon, le droit de fonder des écoles est illimité, mais l’enseignement scientifique est complètement asservi. Et qu’on ne s’empresse pas d’accuser l’ingérence bureaucratique de l’état. L’état n’est point coupable, le mal est inhérent au système. Si l’on impose aux élèves des institutions libres l’obligation de subir une série d’examens devant un jury, ces institutions devront dire : Faites-nous connaître les matières sur lesquelles porteront les interrogations dans chaque épreuve, déterminez exactement la limite de vos exigences ; sinon nos élèves seront livrés à l’arbitraire de vos examinateurs, et il nous sera impossible de les préparer convenablement aux examens que vous leur prescrivez. Ce sont les établissemens libres qui réclame-