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nie. L’université catholique n’a cessé de grandir ; elle a toujours disposé de ressources considérables dont on ne connaît point le total, mais qui ont suffi pour bien rétribuer ceux qu’elle emploie. Elle a toujours eu des professeurs en renom, et pour en enlever à l’état elle n’a jamais hésité à leur faire une situation exceptionnelle. Dans les facultés de droit et de philosophie, elle a presque autant d’élèves que les deux universités de l’état ensemble. La raison en est facile à comprendre : elle peut d’abord compter sur les enfans des familles du parti catholique et des familles patriciennes; elle attire en outre ceux des indifférens et même de quelques partisans des idées libérales, parce que les mères s’imaginent que les jeunes gens, mieux surveillés à Louvain, y ont des mœurs plus sévères. Il y a plutôt lieu de s’étonner que les universités de l’état puissent soutenir la lutte, lorsqu’on songe que la chaire et le confessionnal ne cessent point de recommander leur rivale.

La fondation d’une université épiscopale, érigée en vertu d’un bref du saint-siège, ne pouvait manquer de jeter l’alarme dans les rangs du parti qui s’est donné pour mission de combattre la domination du clergé. Les ministères catholiques[1] pouvaient nommer et nommaient en effet assez souvent des professeurs partageant leurs opinions dans les universités de l’état. Il y avait donc lieu de craindre que l’enseignement supérieur ne passât complètement sous l’influence des évêques, qui auraient eu ainsi le privilège de discipliner à leur guise presque toute la jeunesse instruite du pays. La révolution belge aurait alors abouti au triomphe de l’église romaine, et la proclamation de toutes les libertés à la suprématie d’un parti qui ne les respecte que jusqu’à ce qu’il soit assez fort pour les immoler sur l’autel de l’orthodoxie.

Le danger fut compris. Les francs-maçons, l’avant-garde du parti libéral de cette époque, poussèrent le cri d’alarme. Le 24 juin 1834, l’avocat Verhaegen, grand dignitaire de l’ordre, profita de la fête du solstice d’été pour proposer à la loge de fonder une université à Bruxelles, avec le concours de toutes les personnes dévouées aux idées libérales. Le projet fut accueilli avec enthousiasme. De toutes les loges de province, les souscriptions affluèrent. Un comité d’administration fut constitué, un programme arrêté, des professeurs nommés, et le 20 novembre, quinze jours après l’installation provisoire de l’université épiscopale à Malines, l’inauguration solennelle de l’université libre eut lieu dans la grande salle de l’hôtel de ville à Bruxelles. Le conseil communal, comprenant son intérêt, accordait à l’établissement naissant un appui efficace : il vota en sa

  1. J’ai à peine besoin de dire que ce mot catholique indique non une certaine croyance religieuse, mais une certaine nuance politique. Beaucoup de libéraux sont très bons catholiques, et bien des « catholiques » sont des croyans très peu fervens.