Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Napoléon Ier appelait des têtes à tableaux, il ne croit guère aux idées, mais il croit beaucoup aux situations, et il s’applique à se servir le mieux possible des cartes qu’il a en main. Il connaît mieux que personne les conditions et les nécessités du gouvernement des sociétés modernes ; aristocrate d’instinct, il est orateur d’assemblée populaire comme de parlement, et il se prête aux réformes, même à celles qui ne lui plaisent guère, lorsqu’elles lui paraissent réclamées par l’opinion. Ses adversaires lui reprochent sa versatilité et de n’avoir que des principes de circonstance ; il pourrait répondre qu’en politique ce qui est faux aujourd’hui sera vrai demain, et que le premier principe d’un homme d’état est d’avoir une montre qui marche bien.

M. de Varnbüler, qui était déjà le pilote du Wurtemberg dans les tempêtes de 1866, n’eut pas de peine à se justifier après l’événement de la politique qu’il avait suivie. C’était celle du pays, et les Souabes n’avaient point changé d’avis après Sadowa ; ils ne se repentaient de rien, leur conscience n’étant pas à la merci de la fortune. Il fut plus difficile à l’habile ministre de leur faire agréer les engagemens qu’il avait souscrits à Nikolsbourg. Il a le malheur des hommes d’état dont la réputation d’esprit est faite, on lui prête des mots. On assurait qu’il avait dit à M. de Bismarck : « Nous croyions l’Autriche forte, nous nous sommes alliés à l’Autriche ; nous savons aujourd’hui que vous êtes forts, vous pouvez compter sur nous. » On prétend aussi que l’idée première des traités d’alliance lui appartient, que c’est lui qui les a proposés. Peut-être se disait-il que l’empressement à offrir sert quelquefois à empêcher qu’on ne vous demande plus que vous ne voulez donner, Peut-être aussi pensait-il qu’il fallait ôter au provisoire ce qu’il avait de plus inquiétant, que c’était le meilleur moyen de le faire durer. Quoi qu’il en soit, M. de Varnbüler eut de la peine à défendre le traité d’alliance contre une opposition acharnée qui le qualifiait d’attentat à l’indépendance du Wurtemberg, et il lui fut difficile aussi de faire accepter la réforme militaire qui en était la conséquence indirecte. Les discours qu’il prononça dans ces importantes discussions sont des chefs-d’œuvre d’éloquence parlementaire. Un instant la Prusse et les nationaux se flattèrent qu’il se donnerait à eux ; mais il s’était d’avance tracé sa ligne et n’était pas homme à s’en écarter. Aussitôt que les traités furent votés, on le vit, dans les élections douanières, déclarer la guerre au parti prussien, et, se liguant avec les démocrates, remporter avec eux une éclatante victoire, peu après, toujours prompt dans ses décisions et agile à la manœuvre, leur rompre en visière dans les questions intérieures et résister énergiquement à leurs demandes de réformes radicales. Il ne croit pas aux milices suisses ; il