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actuelles? S’il ne s’agissait que de telle ou telle réforme tentée par tels hommes, à tel moment donné, en vue de créer telle église, toute prévision serait téméraire. Que sont devenues toutes les réformes si ardemment prêchées par les néo-catholiques de notre pays qui ont voulu secouer le joug de la discipline romaine ou de la théologie scolastique? On sait les infructueux efforts tentés en ce sens par Lamennais, Buchez, Bordas-Dumoulin, Huet. Que deviendra le mouvement dont les apôtres du protestantisme libéral se sont faits les promoteurs? Il semble que tout concoure au succès d’une telle entreprise, le dévoûment des hommes, la faveur des circonstances, la simplicité essentiellement populaire de la doctrine. N’est-ce pas la religion des simples de cœur et d’esprit telle que l’enseignait Jésus au peuple de Galilée? On n’y fait appel ni à la théologie, ni à la métaphysique, ni à l’érudition, ni à la critique, ni à aucune science d’école; on n’y parle qu’à la conscience, qui, seule, doit répondre. Sentir, aimer, tout le nouveau christianisme est là; sentir la vérité intime, la vérité du cœur, c’est-à-dire le beau, le juste, le bien, l’aimer dans la personne du Christ.

Nous ne sommes pas de ceux que la passion de la pure philosophie rendrait indifférens à un tel progrès de la vie religieuse. C’est un beau dessein que de faire du nom du Christ le symbole même de la conscience humaine, et d’envelopper l’enseignement populaire de la morale dans l’auréole d’une telle tradition. On ne fera pas de si tôt une humanité philosophique. Si l’on pouvait faire une pareille humanité religieuse, ne semble-t-il pas que la philosophie pourrait attendre patiemment le jour de son complet triomphe, s’il doit venir jamais? Quel rêve que celui des chrétiens libéraux! Le christianisme leur apparaît comme l’arbre qui devait et qui peut encore couvrir le monde. Cet arbre, planté sur le Golgotha pour le supplice de Jésus, arrosé de son sang, enveloppé de la bénédiction divine comme d’une atmosphère vivifiante, s’il eût été abandonné à la vertu de sa sève naturelle et de la grâce d’en haut, eût touché le ciel tout d’abord, et bientôt embrassé le monde dans l’universelle expansion de ses rameaux. La forte et savante culture d’un Paul, d’un Jean, des pères alexandrins, des docteurs scolastiques, en fit l’arbre robuste que l’histoire nous donne à contempler, aux profondes racines plongeant en terre, au tronc massif et court, aux rameaux serrés et entrelacés, à la rude écorce, au feuillage si touffu qu’il intercepte les rayons de lumière. Et comme, avec une pareille constitution, la sève ne pouvait monter, elle dut se porter aux extrémités des branches au lieu de se concentrer au cœur de l’arbre pour le pousser à son plus haut développement. Et alors, après la brillante végétation alexandrine, après la solide organisation scolas-