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Voilà pourquoi le chrétien libéral va s’asseoir à l’école de Jésus : non de Jésus le messie, le Verbe éternel, la deuxième personne de la Trinité, mais de Jésus le Fils de l’homme, le maître doux et humble de cœur qui donne le repos à l’âme, le maître que l’amour du Père et la tendresse pour les plus petits d’entre ses frères élevèrent à une telle hauteur morale qu’il se sentit le fils bien-aimé pour lequel le Père céleste n’eut pas de secrets en tout ce qui est pureté, bonté et sainteté. C’est là le vrai, l’éternel Jésus, celui qui a fondé la religion sur la conscience et ouvert à l’humanité les portes de la cité du ciel. Est-ce l’esprit de Dieu qui parle par cette bouche, ou l’esprit de Satan, comme le veut l’église romaine? Si le sentiment chrétien n’est pas là, où sera-t-il donc? Si ce n’est pas le langage des vrais enfans de Dieu, où le trouvera-t-on? Pour nous qu’on peut accuser, il est vrai, d’avoir une mesure un peu large en ces sortes de choses, nous croyons qu’il y a bien des manières d’être chrétien. On peut l’être selon l’esprit ou selon la lettre. On peut l’être avec Jésus, avec Paul, avec Jean, avec les théologiens alexandrins, avec les docteurs en Sorbonne, avec la tradition tout entière, ainsi que l’ordonne l’église catholique. Ne semble-t-il pas qu’être chrétien avec le Christ tout seul, en ne s’inspirant que de son esprit et de ses exemples, c’est l’être de la meilleure, de la plus chrétienne manière? Qu’on nous dise qu’il n’y a qu’une élite d’âmes essentiellement religieuses auxquelles une telle inspiration puisse suffire pour vivre dans le christianisme, et que, pour le reste, tout l’appareil du dogme et de la discipline traditionnelle est nécessaire, nous n’en disconvenons pas. Sur ce terrain, bien des manières de voir peuvent se concilier. Ce qui nous paraît dur et presque odieux, c’est l’intolérance des amis de la lettre envers les amis de l’esprit, c’est qu’il soit possible de dire qu’en se rapprochant du foyer de toute foi religieuse, l’âme du Christ, pour s’y réchauffer, s’y ranimer, s’y purifier de plus en plus, on s’éloigne de la religion du Christ.

Telle doctrine, telle église : l’absolue liberté sous la loi ou plutôt sous l’esprit du Christ. Là où il n’y a plus de dogme, à proprement parler, il ne peut plus y avoir de discipline et de gouvernement. Chaque croyant est son prêtre à lui-même, comme sa véritable Bible est sa propre conscience éclairée par la lumière de l’idéal évangélique. Au fond, ce n’est pas une église, mais une société de libres croyans qui s’enseignent, se dirigent et se soutiennent les uns les autres ; c’est bien la société des frères du libre esprit dans la plus moderne acception du mot. D’où que l’esprit souffle, il est toujours le bienvenu; on le reçoit et on s’en pénètre sans demander aux inspirés d’autres titres à la confiance de tous que l’excellence de leur