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enfans avec les pères, les innocens avec les coupables? Comment conserver cette psychologie et cette morale de Paul qui font du péché une question d’espèce et non d’individu, et qui enlèvent l’homme tout le mérite de ses œuvres en le reportant à Dieu? Comment prendre à la lettre les miracles et autres faits de l’histoire biblique devant la révélation scientifique des lois immuables de la nature? Et ne devenait-il pas bien difficile de conserver cette mystérieuse théologie du symbole de Nicée quand déjà toute haute spéculation métaphysique tombait dans le discrédit? Était-il possible à ce lourd navire du christianisme scolastique de voguer dans les eaux nouvelles d’une mer aussi orageuse que le monde moderne, si l’on ne trouvait moyen d’en alléger le poids et d’en simplifier les facultés de locomotion? Le nouveau christianisme dut donc abandonner toute la cosmogonie et une partie considérable de la théologie de l’ancienne Bible, les dogmes fondamentaux de la doctrine paulinienne, et enfin les grands mystères de la nature divine qu’il trouvait, sinon contradictoires, du moins inutiles à la saine vie religieuse. Rendons justice à l’esprit net et résolu du XVIIIe siècle. Il essaya peu de subtiliser ou d’équivoquer avec les textes; il fit loyalement le sacrifice de toute la partie du dogme chrétien qui se trouve en contradiction avec l’expérience, l’histoire, la raison, la conscience, ne conservant guère que ce qui en fait la vérité et la vertu. Lorsque Kant, Lessing, plus tard Schleiermacher et toute cette grande école de théologie allemande parlent du christianisme, c’est presque toujours en ce sens. Leur christianisme est celui qui soutient, fortifie, purifie et console les âmes bien plutôt que celui qui engage les intelligences dans les mystérieuses profondeurs de sa métaphysique, ou enlace les volontés dans les liens de sa discipline. En cela, cette école a ouvert largement la voie au christianisme qui devait plus tard pousser la réforme jusqu’à l’entière suppression du dogme en ne conservant que la morale, et encore la morale réduite à l’idéal de la vie et de l’enseignement du Christ. Tel semble aussi avoir été l’esprit, sinon la doctrine explicite, de la partie généreuse du clergé français qui embrassa les principes et les espérances de la révolution. C’est en s’attachant au côté moral et purement évangélique de la doctrine que des prêtres comme Faucher et Grégoire voulaient réconcilier le christianisme avec les principes de raison, de liberté, de justice, de fraternité, que cette révolution avait inscrits sur son programme. En ce sens, il est vrai de dire que le XVIIIe siècle resta chrétien en cessant d’être catholique, et que sur cette partie de la société qui fut gagnée à la philosophie la religion conserva encore un certain empire.

Ce travail de simplification qui ramenait déjà le dogme vers son