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pas qu’on touchât à l’arche sainte de la doctrine. Il était plus convaincu que Léon X et les beaux esprits de sa cour de la justice des peines éternelles, de l’efficacité de la grâce, de la prédestination des élus et des damnés, de l’existence et de la puissance du diable, des maléfices des sorciers, de la présence réelle de Jésus-Christ dans l’hostie. La plus grande hardiesse dogmatique de la réforme fut de substituer dans le sacrement de l’eucharistie la consubstantiation à la transsubstantiation, essayant ainsi de concilier la conservation de la substance matérielle avec la présence de la personne divine. La cour de Rome ne prenait pas feu comme Calvin sur la question des hérésies, et si elle laissait encore brûler des hérétiques, comme Bruno et Vanini, par les tribunaux de l’inexorable saint-office, on peut croire qu’elle n’y mit pas la même ardeur que Calvin dans le procès de Michel Servet. Sur les choses de religion, elle n’avait guère plus de colère que d’enthousiasme; sa passion était ailleurs.

C’est qu’en effet la réforme avait une tout autre pensée que celle d’entamer le dogme. L’esprit qui la suscita était trop chrétien pour toucher à autre chose que l’organisation de l’église. La foi religieuse des peuples qu’avait entraînés la voix de Luther ne demandait rien de plus. Les sciences de la nature étaient à naître, et la philosophie était encore livrée aux disputes de l’école ou engagée dans les subtils commentaires des érudits sur les livres de l’antiquité. Le dogme chrétien, tel que l’avaient fait l’ancien et le Nouveau-Testament, la théologie alexandrine et la théologie scolastique, n’avait encore été positivement contredit ni par les révélations des sciences de la nature et des sciences historiques, ni par les intimes révélations de la conscience moderne. Il y a plus : c’est qu’en émancipant la conscience, la réforme ranima et fortifia la pensée chrétienne, étouffée par la scolastique ou énervée par la renaissance. La foi des nouveaux croyans en revint à la doctrine de Paul qu’avait tempérée le sens tout pratique de l’église romaine, et même jusqu’à la théologie de l’Ancien-Testament. Luther et Calvin reprirent avec une vigueur, une âpreté que l’église catholique semblait avoir oubliée, les doctrines du serf arbitre, de la grâce omnipotente, de la justice rigoureuse du Dieu fort, doux pour ses justes, terrible à ses ennemis.

Mais quand le jour eut commencé à se faire dans la philosophie par le progrès des sciences naturelles, dans la conscience par le progrès des sciences morales, il fallut bien que l’esprit de réforme dans le monde chrétien s’attaquât au dogme lui-même, et en retranchât comme inutile tout ce qui ne lui permettait de s’accommoder ni à la science ni à la conscience modernes. Comment en effet conserver cette théologie barbare de l’Ancien-Testament qui confond dans sa cruelle justice, la Bible dit dans sa vengeance, les