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veut dire, surtout avec les explications et les exemples très significatifs du jeune maître, que c’était bien la pratique de la loi, non la loi elle-même, que le Christ se donnait la mission de changer.

Mais cela même, dit-on, n’est-il pas toute une doctrine ? Si l’esprit de l’ancienne loi est resté caché non-seulement aux pharisiens, mais encore à tous les sectateurs de cette loi, s’il a fallu que le Christ vînt pour leur en faire la révélation, toute pleine de vérités sublimes et vraiment inouïes pour ce peuple courbé sous le joug du formalisme sacerdotal, n’est-ce point Là une loi nouvelle ? Où rencontrer dans l’Ancien-Testament ces sentimens, ces accens d’amour, de justice, de charité, de pitié pour les hommes, de tendresse vraiment filiale pour le Père céleste, qui du haut de sa gloire soutient et console ses enfans faibles, souffrans et malheureux ? Quelle sagesse de docteur, quelle âme de prophète a jamais trouvé des paroles semblables ? Cette remarque a du vrai, moins pourtant qu’on ne le croit communément. On sent bien que dans les paroles de Jésus respire le sentiment d’une âme qui ne semble pas avoir son égale pour la pureté et la douceur parmi les docteurs et les prophètes ; mais si l’on admet que le sentiment est nouveau, il faut bien reconnaître que la doctrine est ancienne, même la doctrine du sermon sur la montagne. Le plus savant des hébraïsans de notre temps, l’illustre Munck, avait coutume de dire que ce sermon courait les rues de Jérusalem. C’était peut-être aller un peu loin à une époque où Jérusalem était devenue le foyer du pharisaïsme, où la parole des docteurs y était plus écoutée que la voix des prophètes ; mais dans un pays comme la Judée, où l’enseignement de la loi et des prophètes était si populaire, il n’était pas possible que tous les textes de l’Écriture ne fussent familiers non-seulement aux docteurs, mais aux plus simples et aux plus humbles d’entre les Juifs. Or il n’est pas douteux que la morale évangélique ne soit déjà dans l’Ancien-Testament, non pas en germe, mais formulée en maximes que le sermon sur la montagne reproduit presque textuellement. Deux écrivains juifs contemporains, MM. Joseph Salvador et Hippolyte Rodrigues, ont mis en lumière cette ressemblance, disons mieux, cette identité, par un rapprochement décisif des textes.

Nous nous bornerons à en rappeler quelques-uns, en renvoyant aux tableaux comparatifs de M. Rodrigues le lecteur qui ne se fierait point à ses propres souvenirs. Ce n’est pas sur tel ou tel point seulement de la morale que la Bible peut être rapprochée de l’Évangile, c’est sur tous. S’agit-il de science, même estime pour la sagesse des simples et même sévérité pour celle des docteurs. Si Jésus a dit : Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux, ou encore : Je te loue, ô mon père, de ce que tu as caché ces choses aux savans et aux sages, et de ce que tu les as ré-