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haute et froide liberté d’esprit qui sied aux recherches historiques, a sans doute une belle part dans une telle littérature; mais cette part, si importante et si honorable qu’elle soit pour le siècle de la critique, n’est qu’un point dans l’immense travail de la pensée religieuse. La plupart des livres de notre temps sur les questions de cet ordre ont pour objet des dogmes, des symboles, des institutions, qu’il s’agit de conserver, de réformer ou de transformer selon l’église, la secte ou l’école à laquelle on appartient.

Un phénomène se produit en ce moment dans le monde chrétien, qui donne un intérêt particulier à la question religieuse. Il semble que l’éternelle lutte entre l’autorité et la liberté y soit entrée dans sa période aiguë, si l’on en juge par les extrémités contraires vers lesquelles certains représentans des deux principes entraînent les sociétés chrétiennes. D’un côté Rome et son concile, c’est-à-dire la concentration la plus absolue de l’autorité, de l’autre le christianisme libéral, c’est-à-dire l’expansion la plus hardie de la liberté en matière de foi, voilà la situation. Assurément cette éclatante antithèse ne doit point être prise comme formule exacte du travail qui se fait dans cet ordre de sentimens et d’idées. La société catholique n’en est pas au Syllabus, pas plus que la société protestante n’en est au programme du christianisme libéral. C’est encore l’orthodoxie, catholique ou protestante, qui gouverne avec plus ou moins de sagesse les foules dans le monde chrétien. Ce qui est vrai, c’est que, dans cette élite de croyans qui se réserve la faculté de penser sur les choses religieuses, le mouvement des esprits tend à cette double conclusion de l’absolue autorité ou de l’absolue liberté.

L’œuvre de transformation qui prend pour titres des noms comme le christianisme libéral, le christianisme moderne, le nouveau christianisme, rencontre deux sortes d’adversaires. Les théologiens, dans le sens orthodoxe du mot, se refusent à reconnaître et même à comprendre l’à-propos de ces ambitieuses épithètes dont certains rêveurs de religions, à leur sens, aiment à relever leurs pensées malsaines ou chimériques. Pour eux, il n’y a pas tel ou tel christianisme, autoritaire ou libéral, ancien ou moderne; il y a le christianisme tout simplement, c’est-à-dire la vérité religieuse absolue, qui ne s’est point développée dans le temps, comme les doctrines philosophiques, par le progrès des individus et des sociétés, mais par une tradition continue, fondée sur une révélation divine, et interprétée par l’église s’inspirant de l’esprit même de Dieu. Dans la loi du Christ comme dans la loi de Moïse, dans les livres des prophètes comme dans les décisions de l’église, c’est toujours Dieu qui parle, et ses communications directes ou indirectes ne cessent jamais d’éclairer l’esprit et de fortifier l’âme des fidèles. Il y a bien une