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tation de donner une verte leçon aux rieurs; mais je me calmais bien vite en songeant que cela était ainsi parce que je l’avais voulu ainsi, que je payais l’arriéré d’une vieille dette qu’il s’agissait d’éteindre, au lieu de l’accroître. — Tout cela, me disais-je, est le contre-coup de bien des mauvais mouvemens d’autrefois, et je me prépare au milieu de ces épreuves un meilleur avenir.

La Gazette manuscrite publia alors une série de dessins où l’on représentait un ours qui faisait ses études pour passer prochainement ses examens de professeur de maintien et de maître à danser.

Les langues cependant allaient leur train dans la société de Munchausen. L’un disait : Vous savez, le docteur Würtz? il est très malade, on dit que c’est un ramollissement du cerveau; l’autre. C’est une gageure ! — Les fins politiques se demandaient : Quel intérêt a-t-il à être si poli? — Quelqu’un insinua que je voulais sans doute devenir recteur, et que je quêtais des suffrages. Un autre supposa que j’entrevoyais peut-être dans mes rêves la clé de chambellan. L’on alla même jusqu’à faire courir le bruit que j’avais dessein de me marier, et l’on se demandait déjà dans les salons quelle était la malheureuse?

Je laissai dire, suivant de très près les mouvemens de mon âme et m’inquiétant peu provisoirement de ceux de l’opinion publique.

Je constatai facilement qu’il y avait dans l’espèce d’allégresse où me tenait cet état de lutte perpétuelle plus d’orgueil scientifique que de désir d’amendement moral. Quelquefois je ne m’en inquiétais pas trop, parce que, après tout, je ne voulais autre chose que tenter une expérience. D’autres fois j’aurais ardemment souhaité de me voir intérieurement plus changé. Je réfléchissais cependant qu’il fallait laisser agir le temps : vouloir constater une transformation de l’âme au bout de quelques semaines, c’était montrer l’impatience de l’enfant qui va du doigt gratter la terre pour voir si la graine qu’il a semée hier n’a pas encore germé. Nous ensemençons notre âme, c’est Dieu qui fait lever le grain de sénevé. Cette simple réflexion me donna de la force et de la persévérance. Cependant lorsqu’il fut de notoriété publique que mon cerveau n’était pas attaqué, que mes leçons avaient même gagné en clarté et en profondeur, lorsqu’il fut bien constaté que je ne soutenais pas une gageure, que je ne songeais pas le moins du monde à me faire élire recteur, lorsque les chambellans eurent cessé de craindre pour leurs clés, on s’inquiéta moins de mes faits et gestes, l’opinion publique se montra moins malveillante.

Je le reconnus à mille indices auxquels j’étais bien sûr de ne pas me tromper. Les étudians cessèrent de se mettre en espalier pour me forcer à exécuter des saluts ridicules. La Gazette manuscrite,