Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou de vaguer à l’aventure comme un chien qui a perdu son maître. Je me révoltais à l’idée de faire le pied de grue assez longtemps pour faire croire à mon domestique que j’avais réellement à sortir, et cependant il fallait en passer par là.

Au palier du premier étage, il me vint tout à coup une idée lumineuse. — J’irai, me dis-je, au secrétariat de l’université, et M. le secrétaire Heindrich me donnera l’adresse de l’étudiant Heilig.


IV.

C’était vers la fin de mai. La journée était chaude et brillante. Etait-elle plus brillante que celles qui l’avaient précédée? ou bien la joie d’avoir trouvé une solution, la conscience que ce que je faisais là était décidément bien, lui donnaient-elles à mes yeux un charme nouveau? Ce que je sais bien, c’est qu’il me sembla que je n’avais joui depuis longtemps d’une aussi belle journée.

Les vieilles maisons de Munchausen, sombres d’un côté de la rue, vivement éclairées de l’autre, découpaient leurs pignons aigus et dentelés sur un ciel d’un bleu humide et profond. Sur ce bleu moutonnaient de petits nuages semblables à des flocons d’argent. Des cigognes traversaient l’espace d’un vol rapide, les pattes rejetées en arrière. Les gens que l’on rencontrait avaient l’air heureux de vivre.

Quand j’arrivai au vieil hôtel de l’université, il était trois heures passées. — M. le secrétaire Heindrich est parti pour sa maison de campagne des Tilleuls, me dit le vieux portier, qui prenait un petit air de soleil devant la porte.

— Merci, Schmoll. Un beau temps, Schmoll?

— Un assez beau temps, Dieu merci! répondit Schmoll assez surpris de cet accès de politesse.

Le croiriez-vous? l’idée d’une petite promenade ne m’effraya pas trop, quoique j’eusse éprouvé de tout temps une horreur systématique pour la campagne, sans doute parce que tout le monde l’aime.

Je franchis la porte de Saxe, et me voilà tout de suite dans les champs. Les haies d’aubépine, blanches de fleurs, embaument l’air, les abeilles bourdonnent de tous côtés, et l’on entend au loin le cri des cailles dans les blés verts et dans les petits bois de pins. De la campagne entière se dégage une odeur enivrante de verdure et de pousses nouvelles. Tiens! des primevères! tiens! des violettes! Je me demande, sans pouvoir me répondre, depuis combien d’années je n’ai vu de violettes et de primevères qu’en bouquets. Les voilà vivantes et comme souriantes sur les talus des fossés, à la marge