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D’autre part, il représentait aux conservateurs que, pour un pays tel que la Bavière, l’isolement est une situation fâcheuse et à la longue insupportable, que ce droit qu’elle tenait de la paix de Prague de choisir ses alliances était d’un usage dangereux, qu’elle devait faire non pas de la grande politique ni de la politique européenne, mais de la politique allemande, qu’en cherchant son point d’appui dans une puissance étrangère, elle blesserait le sentiment national et s’exposerait à de redoutables complications, que les engagemens souscrits à Nikolsbourg étaient les seuls compatibles avec le véritable intérêt bavarois. Concilier le légitime désir de s’appartenir, de rester soi, avec l’observation loyale des traités et le maintien de bonnes relations entre la Prusse et la Bavière, tel a été, pendant ces trois années, le programme du prince Hohenlohe. Dans sa politique intérieure, le prince est parti de ce principe, que de sages progrès sont la meilleure sauvegarde de l’indépendance de la Bavière, et toutes les lois qu’il a présentées aux chambres touchant la liberté d’industrie, le mariage, les associations, la réforme judiciaire, sont des lois de progrès, destinées les unes à garantir les droits de l’état, les autres à supprimer de vieilles institutions et de vieux règlemens qui ne répondent plus aux besoins d’activité et de libre expansion des sociétés modernes[1].

Le seul reproche qu’on puisse adresser à la politique honnête et éclairée du ministère bavarois, c’est qu’il a donné prise à ses adversaires par des imprudences, des précipitations, par un certain luxe de mouvemens et de démarches propres à exciter des inquiétudes. Il n’a rien fait de mauvais, mais il a trop fait, et pour un gouvernement toute action superflue est une faute. Il s’est attiré un échec en proposant une loi scolaire qui dérobait l’école à la surveillance du clergé, et qui, excellente en soi, devançait les temps, choquait bien des catholiques modérés, et avait peut-être ce défaut suprême d’être impraticable. Poursuivant au dedans une politique vraiment libérale, il s’est trop préoccupé de petits incidens qu’il aurait dû ignorer ; il a trop prodigué les circulaires, les adresses, les avertissemens au pays. Il a eu le tort que le Christ reprochait à Marthe, il s’est occupé et inquiété de trop de choses. Dans sa politique extérieure, il a commis la faute de ne pas s’en tenir à ce qui était net, précis et pratique. Il a compliqué son programme de regrets et

  1. On peut s’étonner que le ministère bavarois n’ait pas proposé une loi de réforme électorale. La Bavière élit sa chambre des députés par un système d’élection à deux degrés ; d’autre part, elle nomme par le suffrage universel ses députés au parlement douanier. Une telle anomalie semble ne pouvoir durer ; mais l’épreuve qui a été faite en 1868 du suffrage universel a démontré qu’il était une arme puissante entre les mains du parti patriote. Le système bourgeois par excellence, celui qui garantit le mieux l’influence des classes moyennes, est l’élection directe avec un cens. Ce n’était pas une chose à proposer, le pays n’en voudrait pas. Cette grave difficulté réclame sa solution.