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les plus insalubres et inoculé ainsi la fièvre dans tous les corps, au lieu de lui avoir marqué et livré sa proie, comme un général en chef doit savoir le faire. La maladie est une voie d’eau qui gagne sur les pompes depuis que les évacuations sur d’autres points sont devenues impossibles. Il n’est pas permis de fuir le choléra; il faut l’attendre sur un grabat, comme on attend le muet qui apporte le cordon. Les santés d’Alger et de Marseille ont renvoyé mourir en pleine mer les malades venant de Bône, après leur avoir obstinément refusé le débarquement, et le bon et humain général de Damrémont n’eut plus le courage d’exposer ses soldats à de semblables rigueurs.

Pressé par les impossibilités qui s’amoncellent autour de lui, il les brave en homme de cœur. Il sait que l’enjeu cette fois est bien supérieur aux intérêts et aux proportions de la guerre d’Afrique; il sent que la France est appelée à donner au monde la mesure de son énergie. Il se dévoue pour répondre aux espérances de la patrie, aux ordres de son gouvernement, et il se décide à marcher sur Constantine.

Les deux dernières semaines de septembre furent à peine suffisantes pour constituer la colonne d’opérations, obligée d’emporter tout avec elle, même son bois, et l’on use à ces pénibles préparatifs les moyens déjà trop comptés qui doivent servir à l’action.

Bône se vide vite, mais Medjez-Amar se remplit lentement, car chaque voyage du convoi n’y fait entrer en magasin que le faible excédant des vivres apportés sur les besoins d’une garnison nombreuse. Le général en chef se hâte de la réduire pour accroître plus rapidement la réserve des approvisionnemens, et, rassuré par ses reconnaissances sur l’attitude d’un adversaire qui n’a pas même détruit la route du Ras-el-Akba, placée sous la sauvegarde de la paresse arabe, il ramène à Bône la plupart des troupes.

Achmed apprend que le général de Damrémont a retiré toute la cavalerie de Medjez-Amar, et, certain dès lors de ne pas être poursuivi, il saisit aussitôt l’occasion de sortir, sans avoir l’air de fuir Constantine, où il ne veut à aucun prix rester enfermé. Il rassemble 3,000 cavaliers et 2,500 fantassins, dont 500 réguliers, à Hammam-Meskhoutin (les bains maudits), lieu étrange, célèbre dans les légendes superstitieuses des Arabes.

Le 23 septembre, l’attaque, annoncée la veille par des tirailleries sans résultat, commence dès sept heures du matin.

Prendre Medjez-Amar eût été anéantir l’expédition française, en brisant l’œuf avant qu’il fût éclos. Achmed était incapable de se sauver par un expédient aussi énergique; il voulait seulement parader à cheval avec Osman-Chaouch, l’envoyé de la Porte, devant