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de la suspension prolongée de l’oiseau, et M. de Tessan émet l’hypothèse qu’elle est due à des trépidations rapides et presque imperceptibles des ailes[1]. Il est encore moins aisé d’expliquer comment l’aigle et le condor peuvent planer à des hauteurs de plusieurs kilomètres, où la rareté de l’air les prive d’une partie des avantages qu’ils rencontreraient près du sol. Le vol sans battement paraît d’ailleurs être l’apanage des oiseaux de grande taille, car les pigeons et l’hirondelle, qui planent aussi, ne se soutiennent que très peu de temps dans cette situation.

La question la plus obscure de toutes celles que soulève le vol des oiseaux, c’est l’évaluation du travail qu’ils dépensent pour se soutenir contre la pesanteur. On se rappelle les résultats absurdes auxquels Navier s’est vu conduit par une analyse en apparence rigoureuse : la force d’un homme développée par une hirondelle, 26 chevaux-vapeur par un aigle, et ainsi de suite. Les relations constantes et bien connues qui existent entre le poids d’un animal, sa nourriture et le travail qu’il peut fournir, ne permettent pas de s’arrêter un instant à de semblables fantaisies; on s’assure d’ailleurs aisément que Navier était parti d’hypothèses erronées sur les mouvemens des ailes. Il y a quelques années, M. Liais a présenté sur le même sujet des considérations très justes. Il a rappelé que l’aile qui s’abaisse change de plan, le bord antérieur s’inclinant toujours en avant pendant que le bord postérieur se relève; il a fait voir qu’en remontant l’aile doit couper l’air par sa tranche et ne rencontrer qu’une résistance insignifiante, ou même empruntera la résistance horizontale une légère force ascensionnelle ; enfin il a rappelé que la résistance peut suivre des lois particulières qui facilitent beaucoup l’explication du vol. Envisagé sous ce jour nouveau, le problème ne paraît plus offrir les mêmes difficultés. Néanmoins il était temps de sortir du domaine des hypothèses et d’analyser par des moyens d’observation précis toutes les circonstances du mouvement des oiseaux. C’est ce qui fait l’objet des derniers travaux de M. Marey, que je vais essayer de résumer.


II.

La découverte du microscope ouvrit à l’homme les portes d’un monde nouveau, le monde de l’invisible, de l’impalpable. La perspective sur l’immensité de l’espace fut ainsi prolongée en sens inverse. Il restait à faire pour le temps ce qui était fait pour l’espace :

  1. Un vent très fort, qui fait 20 mètres en une seconde, peut cependant exercer une pression verticale de 10 kilogrammes sur un albatros qui se tient peu incliné sur l’horizon.