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assez de biographies et de biographes nous ont rendu familières les particularités d’une vie dont chaque souvenir d’ailleurs est perpétué par une œuvre illustre ; mais, malgré cette abondance de renseignemens, plus d’une recherche utile pouvait être entreprise encore, plus d’une vérité nouvelle signalée. Il restait à nous représenter Raphaël dans la situation que lui avaient préparée les générations d’artistes précédentes aussi bien que dans, le milieu où il a vécu ; il restait à interroger la série de ses tableaux pour y découvrir et nous montrer à la fois le résumé des progrès accomplis avant lui et le développement non interrompu de sa propre originalité.

C’est ce double enseignement que contient l’ouvrage de M. Gruyer. Tel qu’il l’a conçu et exécuté, son travail est certainement le plus complet qui ait paru jusqu’ici sur la matière, et nous doutons qu’il ne décourage pas, au moins pour longtemps, quiconque serait tenté d’aborder le même sujet. Quoi qu’il advienne à cet égard, et pour nous en tenir aux termes de comparaison que le présent peut nous fournir, l’Histoire de la vie et des ouvrages de Raphaël, par Quatremère de Quincy, et même les deux savans volumes de Passavant sur URaphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi, ne se recommandent pas à autant de titres que les études publiées par M. Gruyer. Plus sérieusement historiques que le premier de ces ouvrages, plus littéraires que le second dans l’esprit et dans la forme, elles embrassent assez d’idées et de faits, elles résolvent assez de questions pour satisfaire à toutes les exigences. Telle partie de ce vaste travail, — l’Iconographie de la Vierge par exemple, depuis les premiers âges chrétiens jusqu’à la fin du XVe siècle, — constitue à elle seule un véritable traité d’archéologie pittoresque, tandis que des morceaux de pure critique, comme les chapitres consacrés à la grande Sainte Famille, du Louvre, et à la Madone de Saint-Sixte, font nettement ressortir les beautés de ces incomparables ouvrages et la sereine toute-puissance du génie qui les a créés.

Nous devons dire un mot en finissant d’une objection qu’a soulevée le livre de M. Gruyer, ou plutôt qu’il a ressuscitée, car plus d’une fois déjà cette objection s’est produite, soit dans des cas à peu près pareils, soit là même où il s’agissait des conditions ou des devoirs de l’art contemporain. On a reproché à l’auteur des Vierges de Raphaël de s’être trop habituellement et trop ouvertement placé, pour envisager son sujet, au point de vue des idées religieuses. Singulier reproche à l’adresse d’une étude sur les chefs-d’œuvre de l’art religieux ! Voulait-on qu’il n’y fût tenu aucun compte des doctrines que ces chefs-d’œuvre résument et de la foi qui les a inspirés ? Nous accusions, il y a un instant, les emportemens d’imagination de certains érudits italiens qui font à peu près de Raphaël un moderne