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du sud et les jeter dans les bras de la Prusse. On espérait, par cette manœuvre, réveiller les passions religieuses dans le sud ; on se flattait qu’en évoquant devant les populations le fantôme de l’ultramontanisme, on leur ferait faire de salutaires réflexions, et que le despotisme spirituel de Rome se chargerait de les réconcilier avec la dictature militaire de Berlin. Cet espoir a été déçu. Les Allemands du midi ont de bonnes raisons pour n’avoir pas trop peur de l’ultramontanisme ; bien qu’il s’agite chez eux comme partout, ils le savent impuissant. Qu’est-ce que le catholicisme jésuitique ? Une conception grossière de la religion, qui la réduit à n’être qu’un instrument de gouvernement et dont l’idéal est une dévotion machinale ou mécanique, de laquelle les habiles font jouer à leur gré les ressorts. Les Allemands sont protégés contre le jésuitisme par des défenses naturelles. Ils sont la race religieuse par excellence, et on leur persuadera difficilement qu’on peut avoir une religion sans y mettre un peu de soi, un peu de son âme, un peu de ce cœur pensant auquel ils ont donné le nom de Gemüth, Leurs croyances leur sont chères, parce qu’elles les aident à vivre ; elles ne sont pas à la merci d’une bulle ou d’un rescrit. Qu’était-ce que Luther, ce grand Allemand ? Le tribun de la conscience ; la sienne lui semblait valoir un monde, et, la proclamant inviolable, il mettait Rome et l’empereur au défi de la lui prendre. Au surplus, l’Allemagne est un pays de forte culture scientifique. Les jésuites ne seront les maîtres et les directeurs du clergé allemand que lorsqu’ils auront détruit les universités et les facultés théologiques d’où sont sortis les Wessenberg, les Moehler, les Dollinger, les Hefele, les Haneberg, ces doctes et vénérables représentans du catholicisme libéral.

L’attitude qu’a prise au concile l’immense majorité des prélats allemands prouve assez que les démocrates avaient bien jugé de la situation, et qu’ils ont bien fait de ne pas trop s’émouvoir du meeting de Worms. Que si les nationaux leur font un crime de se coaliser avec Rome, ils répondront qu’une coalition est immorale quand deux partis font campagne ensemble pour renverser un gouvernement qu’ils ne sauraient remplacer sans que l’un des deux regrette ce qu’il a contribué à détruire : dans de telles alliances, il y a toujours un trompeur et une dupe ; mais qu’y a-t-il de répréhensible dans une ligue formée pour conserver ce qui est, chacun des deux partis le préférant à l’inconnu redoutable qu’on lui propose ? Lors des élections au parlement douanier, catholiques, ministériels et démocrates wurtembergeois pouvaient signer tous, sans sacrifier aucun de leurs principes, ce commun manifeste : « l’accession au Nordbund signifie un surcroît de dépenses annuelles de 6 millions de gulden, un an de service de plus, nos droits constitutionnels compromis, la liberté de la parole et de la presse mise en péril, notre