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empêcher ce qu’ils ne veulent pas, s’agit-il de vouloir, ils se partagent, se décomposent, s’affaiblissent par leurs discordes intestines. Il en faut chercher la raison dans la nature de l’esprit allemand, qui unit au goût des abstractions l’esprit de détail et qui se résout difficilement à sacrifier les accessoires à l’essentiel. Ajoutez l’excessive complication des problèmes depuis 1866 et la difficulté de s’entendre à la fois sur la question allemande et sur les questions intérieures. Tel progressiste national se joint aux démocrates pour demander certaines réformes civiles, sociales ou politiques ; mais il désire l’accession au Nordbund, et cette accession fait horreur à ceux-ci, qui s’accordent avec les conservateurs pour réclamer énergiquement le maintien du statu quo. C’est ainsi que dans les états du sud il est également difficile de trouver un parti où l’on s’entende sur tout et deux partis qui ne s’entendent pas entre eux sur quelque chose. Les couleurs n’existent pas dans la nature : elle n’offre an regard que des nuances qui se lient les unes aux autres par une dégradation insensible. Tel est à peu près l’état des esprits dans l’Allemagne du sud, ce qui, joint aux prérogatives de la couronne, y rend malaisée l’introduction du pur régime parlementaire. Peut-on demander que la majorité du parlement gouverne, lorsque le plus souvent ce parlement n’a point de majorité, ou que cette majorité n’a point de programme commun, qu’unanime aujourd’hui sur une question, se divisant demain sur une autre, elle déroute les calculs par l’infinie variété de ses groupemens ? C’est affaire au gouvernement de constituer de son mieux dans ces chambres flottantes un tiers-parti, eine Mittelpartei, centre droit ou centre gauche, qui se préoccupe d’assurer par une politique d’accommodement la bonne marche des affaires. Cette minorité ministérielle prend sur les fractions modérées des partis extrêmes l’ascendant qu’exerce toujours le bon sens, et, grâce à son appui, le ministère leur fait agréer des transactions qui satisfont la majorité du pays.

Dans de telles conditions, les partis sont impuissans à gouverner ; mais les gouvernemens doivent compter sérieusement avec eux, sous peine de voir se former de fortes et dangereuses coalitions qui les renverseraient. Ces coalitions, qui jouent un grand rôle dans le mécanisme constitutionnel des états du sud, ont plus d’une fois déconcerté les projets de la Prusse et de ses partisans. Que la question d’indépendance vienne à se poser, on voit démocrates et catholiques se former en phalanges serrées pour faire face à l’ennemi commun. Le parti prussien n’a rien négligé pour rompre cette redoutable alliance, il a usé de toutes les armes que pouvaient lui fournir les événemens. Au printemps de 1869, dans son grand meeting de Worms, il poussa un cri de guerre contre le concile, s’en servant comme d’un épouvantail pour effrayer les libéraux et les protestans