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nête, et meurt après avoir fait pénitence des péchés de sa jeunesse. Un titre alléchant, beaucoup de vice au début, une conversion à la fin, telles étaient les trois conditions à remplir pour faire réussir ces petits livres populaires qu’un père prudent se serait gardé de laisser entre les mains de ses enfans.

Instruit comme il l’était, Defoe n’était pas homme à se contenter des malfaiteurs de sa propre patrie. Il s’occupe bientôt de Cartouche, dont les crimes faisaient alors beaucoup de bruit en France; mais Cartouche et ses compagnons étaient des gens cruels, de vrais brigands, plus adonnés au meurtre qu’au vol : aussi le fécond journaliste revient-il vite aux scélérats moins sanguinaires de la Grande-Bretagne. Il aime évidemment à ne raconter que les aventures d’hommes dont les infamies ne sont pas tout à fait exécrables, et dont les infortunes laissent place à la pitié. John Sheppard, dans sa courte carrière, a toutes les qualités voulues. C’est un jeune voleur que l’on arrête; il se sauve, on le reprend; enfermé à Newgate, il franchit les portes, escalade les murs, et reconquiert sa liberté dans des circonstances fabuleuses. On le ressaisit encore, et quand on lui demande quelles personnes ont favorisé son évasion, il répond qu’il n’a eu d’autre aide que celle de Dieu tout-puissant. Malgré ses crimes, il suscite autant d’intérêt qu’homme du monde luttant pour sa vie et sa liberté. Enfin le jour de l’expiation arrive; monté sur l’échafaud, il parle au public, il remet à un assistant ses mémoires (s’il faut en croire le journal de M. Applebee qui est l’éditeur de ces mémoires), puis il fait ses dévotions et se livre au bourreau.

Si les liens qui attachaient Defoe au gouvernement du jour étaient devenus évidens, il n’avait pas cessé toute relation avec le journal jacobite de Mist. Ce malheureux éditeur était souvent victime des poursuites judiciaires que suscitait l’intempérance de ses correspondans étrangers; bien que Defoe lui vînt fréquemment en aide dans ces jours d’infortune, Mist finit par se convaincre que le censeur occulte des journaux était l’auteur de ses malheurs passés et présens. Rien ne prouve que Defoe, dans l’exercice de ses fonctions secrètes, ait joué le rôle d’un délateur; mais il en fut soupçonné, ce qui n’était qu’une juste punition de sa duplicité. Bientôt, mis à l’index par les éditeurs des feuilles périodiques, il vit ses articles politiques refusés partout.

Il ne fut pas pour cela oisif. Dans les dernières années de sa vie, il publie d’épais volumes sur les matières les plus variées. Tantôt c’est un voyage imaginaire autour du globe avec des détails d’une exactitude merveilleuse sur des contrées que l’on connaissait à peine en ce temps. Une autre fois c’est un manuel complet du négociant où, faisant allusion aux déboires de ses entreprises commerciales, il