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tain John Argill, avocat, homme de piété et de grand savoir, mais plus adonné à la lecture de la Bible qu’à celle des codes, s’avisa de publier une brochure pour démontrer que l’homme peut être quelquefois transféré de la terre au paradis sans mourir. C’était une bien innocente illusion, qui n’offensait personne; mais le parlement d’Irlande, dont John Argill était devenu membre cette même année, en jugea autrement. Le théologien malencontreux fut expulsé de son siège et déclaré incapable d’être élu de nouveau, sur quoi Defoe trouva matière à écrire. Après avoir réfuté les principes de John Argill avec le respect que mérite un travail dont les livres sacrés ont fourni le sujet, il rappelle humblement aux bons Irlandais qu’il faut être miséricordieux pour les pauvres auteurs, et que celui qui s’adresse à eux a besoin de pitié plus que qui que ce soit.

Ce fut aussi pendant son séjour à Newgate que Defoe conçut et mit à exécution un projet qui mérite, bien plus que Robinson Crusoé, de faire passer son nom à la postérité. Si vive que fût devenue la polémique littéraire pendant les années de trouble qui précédèrent et suivirent la révolution de 1688, elle n’avait toujours qu’une existence précaire, qu’une allure imprévue, faute d’un organe périodique. En d’autres termes, les journaux étaient encore inconnus. Le premier des journalistes allait faire ses débuts du fond d’une prison, ce qui ne veut pas dire assurément que l’on aurait raison de rappeler trop souvent ses successeurs au souvenir de leur origine. Le 19 février 1704, Defoe fit paraître le premier numéro de la Revue, feuille périodique qui s’annonçait comme devant donner une fois la semaine les nouvelles de l’Angleterre et de l’étranger, les événemens politiques, les renseignemens commerciaux. Defoe comprenait bien du reste que de tels sujets n’intéresseraient qu’un petit nombre de lecteurs, et que pour réussir il fallait amuser. Il réservait donc une place aux faits divers, qu’il appelait brutalement Scandal Club. Exalter les actes de vertu, blâmer le vice et la folie, discuter les questions douteuses en théologie, en morale, en science, en poésie, c’était le vaste programme que devait remplir le Scandal Club. Le succès fut si grand que la Revue devint bi-hebdomadaire à partir du huitième numéro; puis elle eut trois numéros, cinq numéros par semaine, et cela dura pendant neuf ans malgré les entraves que la vie agitée du rédacteur semblait devoir apporter souvent à la publication.

Defoe était à cette époque dans toute la vigueur de son talent; mûri par l’expérience, maître de son style, habitué à la lutte, il savait être touchant parfois, satirique lorsqu’il y avait avantage à l’être, spirituel toujours. Il avait d’ailleurs une puissance de travail extraordinaire. La Revue, commencée à Newgate, où les loisirs