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lui demandait, son budget l’atteste, et cependant, comme leurs voisins, les Badois ont peu de goût pour les dépenses improductives. Chose curieuse, chaque année les chambres badoises expriment des vœux en faveur de l’accession du sud à la confédération du nord, et chaque année elles protestent contre les dépenses militaires exagérées, et invitent le gouvernement à réduire de fait le temps de service en multipliant abondamment les congés. On ne se régénère pas en un jour A Carlsruhe comme ailleurs, le vieil homme sudiste montre le bout de l’oreille.

L’amour de l’économie, que Mirabeau qualifiait de seconde providence du genre humain, une aversion prononcée pour les gros budgets militaires, une façon un peu bourgeoise, c’est-à-dire très moderne et très sensée, d’entendre les devoirs de l’état et le gouvernement des peuples, le sentiment que la prospérité d’un pays fait plus pour sa vraie gloire que le nombre de ses baïonnettes, la haine instinctive de toutes les gênes inutiles, voilà des traits communs à toutes les populations allemandes du sud, dont les propensions et les habitudes politiques diffèrent beaucoup de celles du nord. La vie constitutionnelle, qui a pénétré si tard en Prusse et qui a tant de peine à s’y acclimater qu’on l’y traite encore en étrangère, a pris pied depuis un demi-siècle dans l’Allemagne méridionale ; c’est dire qu’elle y est déjà une coutume, une tradition. Heureux les peuples qui ont eu le temps d’acquérir les mœurs et les préjugés de la liberté. Le Wurtemberg, où l’autorité du prince fut presque toujours tempérée par le pouvoir des états, possède une constitution depuis 1819. Baden et la Bavière depuis 1818. A l’origine, ces constitutions laissaient sans doute beaucoup à désirer, elles étaient un compromis passé entre les traditions historiques et les idées nouvelles, système mixte où le régime représentatif se trouvait concilié tant bien que mal avec le maintien des corporations, la séparation des classes, les distinctions hiérarchiques et les privilèges. Toutefois, si imparfaites qu’elles fussent, ces chartes ont pris racine dans le sol, et à travers bien des crises, des temps d’arrêt, des réactions, elles ont porté leurs fruits. Réparant ses défaites, se retrempant dans ses adversités, la liberté grandissait et se sentait maîtresse de l’avenir. Depuis dix ans surtout, elle a fait de grandes conquêtes dans les états moyens de l’Allemagne ; l’esprit moderne y a renouvelé des institutions surannées, démoli bien des abus, sapé bien des privilèges, opéré d’importantes réformes civiles, administratives et politiques. Ce mouvement s’est encore accéléré depuis 1866. Comme l’Autriche, les gouvernemens du sud ont pris à tâche de se faire pardonner leurs échecs par des concessions libérales, et ils ont rendu plus acceptable la réorganisation militaire que leur