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moins bien pourvue de cours d’eau navigables que d’autres contrées de la Chine, et où les transports se font à dos d’hommes ou d’animaux. Ces chevaux sont « petits, de basse taille pour la plupart, mais forts et hardis[1]. » — « C’est probablement à la même race, écrit Marsden, qu’appartiennent les chevaux du Bas-Thibet qu’on mène vendre dans l’Hindoustan. Les habitans du Boutan dirent au major Rennel qu’ils faisaient venir leurs chevaux d’un pays situé à trente-cinq jours de marche au-delà de leurs frontières[2]. » Si tardive qu’ait été cette acquisition, elle nous a évité bien des fatigues. De Craché[3] à Tong-tchouan, M. de Lagrée avait toujours été contraint de se renfermer dans les bornes étroites d’un budget insuffisant; il avait plus souffert qu’aucun de nous d’une économie qu’il pratiquait en toute occasion en déplorant qu’elle fût nécessaire. L’emprunt heureusement conclu avec Ma-Tagen nous plaçait, sous le rapport financier, dans une situation meilleure, et nous permettait d’acheter des chevaux. Je n’ai conservé, pour ma part, que des souvenirs charmans de ces premiers jours de marche, pendant lesquels j’avançais en rêvant à mon aise, sans nul souci de la route, car mon cheval, accoutumé à se guider lui-même, me portait avec autant d’assurance qu’il portait auparavant des sacs de sel ou des ballots de coton.

Au commencement du mois de février, la terre, toute frémissante de son travail intérieur, recelait encore les germes dans son sein et demeurait uniformément grise. C’était à peine si de loin en loin quelque gramen indiscret venait révéler la prochaine éclosion, l’immense et universelle explosion de vie. Les arbres fruitiers, très nombreux autour de nous, bordaient la route. Tous bourgeonnaient; la sève montante faisait éclater l’écorce, et les plus précoces étaient déjà couverts de fleurs blanches ou rosées. Une forêt de pommiers, d’abricotiers et d’amandiers se préparait à semer de neige le tapis que les rizières naissantes allaient bientôt dérouler à leurs pieds. Ces tableaux rians ne tardèrent pas à être remplacés par des scènes d’un tout autre caractère. Arrivés par une pente insensible jusqu’à un col resserré, nous eûmes soudainement devant les yeux comme un énorme entassement de montagnes grises, nues et ravinées. Nous sentions les approches d’un grand fleuve vers lequel une force invincible attirait tous les torrens grondant au fond des gorges. Quelque chose de solennel annonçait sa présence. La main de Dieu semble avoir entouré les grandes artères du monde physique de barrières infranchissables, de même qu’elle a pris soin d’enfermer dans plus d’ombre et de mystère les vaisseaux essentiels du corps

  1. Martini.
  2. Marsden, Travels of Marco Polo.
  3. Lieu de notre départ en 1866.