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pasteurs et les pirates, voici qu’il s’attaque aux plus vieux empires, menaçant de renverser de son souffle puissant des édifices qui ont défié les âges. Dès les premières années du XIIIe siècle, des mosquées s’élevèrent dans le Bengale à côté des temples de Brahma, le mahométisme ayant pris racine sur les bords des fleuves sacrés de l’Inde. Il vient d’éclater en Chine, où le vieux colosse se débat sous l’étreinte d’une rébellion qui doit au sentiment religieux une partie de sa force. C’est là un spectacle qui n’est pas sans enseignemens.

Accoutumé à professer à l’égard de toutes les religions une indifférence dédaigneuse, le gouvernement de Pékin n’a point hésité, comme nous l’avons vu, à confier le commandement supérieur des troupes envoyées contre les rebelles à un homme qui, ne pouvant manquer de sympathiser avec ses coreligionnaires, semble se trouver conduit par sa foi à favoriser les progrès de ceux que son devoir politique l’obligerait à combattre : étrange aveuglement qui provoque dans le Yunan même, chez les rares généraux dévoués à l’empereur, un blâme discret, toujours étouffé par le bruit des protestations retentissantes que Ma-Tagen transmet à la cour abusée. Les Chinois font tout bas le récit de certaines batailles où les régimens impériaux ne comptaient jamais un blessé dans leurs rangs, et tiraient eux-mêmes en l’air pour reconnaître les bons procédés de l’ennemi. Ils ajoutent en souriant qu’un lieutenant de Ma-Tagen, observateur défiant, demanda un jour à son chef de changer d’enseignes avec lui. Le général n’osa refuser, et battit en retraite après avoir vu quelques-uns de ses gardes tomber autour de lui. Comme si ce n’était point assez, pour attester la méprise ou l’incurie du gouvernement impérial, d’une armée inactive sous un général complice de l’ennemi[1], le seul homme du Yunan qui ait été prier sur le tombeau du prophète continue, bien qu’il ait été compromis dans une première révolte, de toucher un gros traitement et de loger à Yunan-sen dans un palais ! Nous avons pu constater qu’il n’ignorait pas sa puissance, et qu’il ne songeait à cacher ni ses relations avec les rebelles de l’ouest, ni son influence sur les musulmans demeurés jusqu’à présent fidèles à l’empereur. A voir la façon dont ces derniers traitent les Chinois, il est d’ailleurs impossible de ne pas reconnaître

  1. Je dois dire cependant que des renseignemens qui me sont parvenus très récemment ne confirment pas l’opinion que je m’étais formée sur les lieux touchant l’attitude probable de Ma-Tagen. Peu après notre départ de Yunan-sen, l’armée des rebelles investit cette ville. Tous les soldats mahométans commandés par Ma-Tagen passèrent à l’ennemi ; mais celui-ci tint ferme à son poste, massacra ceux de ses lieutenans dont la fidélité lui paraissait douteuse, et soutint vaillamment l’assaut avec le reste de son armée. I) a été blessé sur les murs. — Peut-être son cœur a-t-il changé, suivant l’expression chinoise, peut-être est-il jaloux du rôle et de l’importance du sultan de Tali.