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fléchis et clairvoyans, se préoccupent de l’avenir que l’homme nécessaire prépare à leur pays. Ils sentent tout ce qu’il y a d’irrégulier, de menaçant dans la situation présente, les contradictions où l’on s’est engagé, l’impossibilité d’étendre à toute l’Allemagne un régime de haute pression, qui n’assure de garanties sérieuses ni à la souveraineté des états, ni à la liberté. Ils tiennent pour maxime qu’il faudra se résoudre à faire le choix qu’on n’a pas voulu faire à Nikolsbourg, à savoir, détacher nettement la Prusse de l’Allemagne, garder sous sa main les petits états qui sont dans la dépendance naturelle de Berlin et laisser à lui-même le reste en l’aidant à s’organiser, — ou bien défaire en partie l’œuvre et la constitution de M. de Bismarck, renoncer à la dictature et se placer à la tête d’une Allemagne réunie sous des institutions libres et vraiment fédératives.

On assure que ce dernier choix est en faveur dans l’entourage de celui qui héritera un jour de la couronne de Prusse et que lui-même y incline. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la droiture de son esprit et de ses intentions, la générosité de son caractère, ont inspiré de chaudes espérances au libéralisme prussien. Quelqu’un a dit de lui : « C’est un Hohenzollern, mais un Hohenzollern qui se cherche et qui se trouvera. » En se cherchant, il a rencontré son siècle et il a fait connaissance avec lui. Berlin, en 1857, célébra son mariage comme un événement propice, comme un favorable augure. Ce mariage amenait en Prusse une princesse qui joint aux grâces de la femme une âme forte, une intelligence élevée, et la Prusse n’ignore point que dans ce sage pays d’Angleterre, — où la liberté est non une fièvre intermittente, mais le battement régulier d’un pouls ferme et bien portant, — les princesses royales sucent avec le lait de leur nourrice le respect des idées constitutionnelles. Dans un certain monde, on reprochait autrefois au prince royal de Prusse de ne pas porter aux choses militaires cet intérêt exclusif ou dominant qu’on attend d’un Hohenzollern ; son esprit chercheur était occupé d’autres questions. Depuis la guerre de 1866, on ne saurait l’accuser de n’être pas un soldat ; le courage brillant qu’il y a déployé, l’importance du commandement qui lui était confié, son arrivée opportune et décisive sur le champ de bataille de Kœniggraetz, tout le dispense de démontrer qu’il sait la guerre, et qu’il est capable de l’aimer. Il pourra impunément donner des gages à la paix et à la liberté ; la Prusse lui en saura gré comme l’Europe. Nous avons rapporté ce que disent les sceptiques : « ne changera-t-il pas d’idée ? trouvera-t-il des hommes ? peut-on défaire ce qui s’est fait ? » Il est aussi téméraire de trop douter que de trop croire ; mais supposez qu’un jour la Prusse se mît à parler un langage libéral et pacifique, qu’elle se montrât disposée à rétablir le concert européen, — supposez qu’appuyant ses paroles par des actes, on la vît réparer son odieuse in-