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Frédéric ou pour le fidéicommissaire des Hohenstaufen, qui s’attribue une mission qu’elle n’a garde de définir et concilie les prétentions les plus opposées? N’attendez pas qu’elle choisisse; elle veut tout, pareille à ces enfans auxquels on propose d’opter entre deux plaisirs et qui les demandent tous les deux. Ajoutez qu’il lui suffit de frapper la terre du pied pour en faire sortir un million de baïonnettes. Voilà qui justifie les inquiétudes et condamne l’Europe aux charges pesantes de la paix armée.

Le traité de Prague ne pouvait rassurer personne. Dès le lendemain du jour où il fut signé, on s’aperçut que, s’il était pour ceux-ci un arrêté de compte définitif, les autres le considéraient comme la feuille de route de leur ambition, et que la seule question qui s’agitait en Prusse était de savoir si l’on ferait halte à l’étape ou si on la brûlerait.


III.

L’inévitable conséquence des fausses solutions est d’engendrer des situations fausses. C’est là qu’en est l’Europe en ce qui regarde les affaires d’Allemagne. La Prusse veut tout et trouve des raisons pour tout vouloir; à l’appui de ses prétentions, elle invoque tour à tour l’ancien droit et le nouveau, sans avoir peur de se contredire. Aussi la paix de Prague n’est pas seulement une source d’anxiétés et d’alarmes, elle a répandu beaucoup de trouble dans les esprits et dans les idées. Impossible de s’engager envers un adversaire qui lui-même décline tout engagement. Il ne reste qu’à vivre au jour le jour, attendant les événemens et se promettant de régler sa conduite sur les circonstances. Elles sont aujourd’hui les maîtresses de l’Europe. Plaise à Dieu que leur règne soit bénin et pacifique !

En tout ce qui touche à leurs relations réciproques, les peuples en sont encore plus ou moins au simple droit de nature, qui n’est que le droit des habiles et des forts. L’Europe a un droit social et politique, lequel se résume dans ce qu’on appelle les principes de 89 : non que la France de 1789 ait inventé ces principes; mais elle les a gravés sur des tables d’airain et proposés à l’univers au milieu des éclairs et des tempêtes d’un nouveau Sinaï. Malheureusement la révolution n’a point tenu école de droit international. Le terrible dictateur qui a fini par la confisquer à son profit n’a jamais servi d’autres principes que ceux qui servaient ses intérêts, — étonnant génie qui avait une admirable intelligence de certaines conditions vitales des sociétés modernes, mais qui dédaignait trop de choses, ayant appris de la révolution à faire bon marché des droits héréditaires et historiques, de sa fortune à mépriser les idéologues et les idées, et de son ambition à profiter de tout pour tra-