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de ce bon sens populaire qu’on trompe rarement, qu’on endort quelquefois, mais dont les réveils inattendus déconcertent souvent les prévisions des habiles.

Par les traités secrets d’alliance que la Prusse conclut à Nikolsbourg avec les états du sud, les parties contractantes se garantirent réciproquement l’intégrité de leurs territoires, et s’engagèrent, le cas échéant, à réunir toutes leurs forces sous le commandement suprême du roi de Prusse. Ces traités ne furent portés à la connaissance de l’Europe que le 19 mars 1867. La grosse affaire du Luxembourg venait de s’engager ; on espérait sans doute faire réfléchir la France. Dans le midi de l’Allemagne, l’impression fut très vive ; l’opposition accusa les gouvernemens d’avoir porté atteinte au traité de Prague dans ce qu’il avait de favorable à l’indépendance du sud et de s’être faits les vassaux militaires de la Prusse. La Souabe surtout se récria, protesta, et l’on vit le moment où le parlement wurtembergeois refuserait la ratification qu’on lui demandait. En Prusse, on éprouva d’abord une satisfaction sans mélange, on porta aux nues l’habileté du grand ministre qui, d’un coup de baguette, venait de supprimer le Mein. Après réflexion, ce grand enthousiasme se refroidit ; on ne vit plus dans les traités d’alliance qu’une demi-mesure et un demi-succès. On jugea que ce fameux coup de partie n’était, à le bien prendre, qu’un coup de théâtre. Passe encore si des conventions annexées aux traités avaient soumis à la surveillance et au contrôle prussiens l’organisation militaire des états du sud ; mais ces états restaient les maîtres absolus de leurs armées en temps de paix, et, qui plus est, la teneur des obligations qu’ils avaient contractées était bien vague. A quoi s’étaient-ils engagés ? A reconnaître la paix de Prague et à faire cause commune avec la Prusse contre quiconque attenterait au nouvel ordre de choses. Or qui peut bien songer à biffer le contrat de Prague ? Ce n’est pas l’Autriche, dont la politique consiste à en recommander la fidèle observation. Ce n’est pas la France non plus, qui a collaboré de son mieux à ce grand œuvre de la diplomatie. La paix de Prague n’est incommode qu’à ceux dont elle n’a satisfait qu’à moitié l’ambition et qui la considèrent, non comme le dernier terme de leurs espérances, mais comme une étape qu’ils ont hâte de laisser derrière eux pour atteindre le but. Ceux-là peuvent être tentés d’en éluder les dispositions ou tout au moins de les interpréter à leur façon. Les états du sud n’ont point juré de considérer la casuistique prussienne comme parole d’Évangile, et si on voulait les entraîner dans quelque ambitieuse entreprise où les intérêts de l’Allemagne, tels qu’ils les comprennent, ne se trouveraient point engagés, ils rappelleraient au cabinet de Berlin qu’ils ont conservé le droit