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que quelques mois les séparent, je tiens, pour moi, que c’est même chose. Et que fût-il arrivé, si le naufrage se fût produit sous cette forme plus lente? On en eût accusé celui qui, le premier, eût donné le signal de la faiblesse et de l’abandon. Mieux vaut donc, si profondément triste que soit cette page de notre histoire, ne pas avoir à se méprendre quand on fait à chacun sa part de responsabilité.

Jusqu’au 23 février, vers le milieu du jour, ce n’était qu’une émeute ordinaire ou plutôt une simple émotion, un désordre sans but. Les plus factieux n’avaient encore aucun projet d’attaque à main armée; l’insurrection par elle-même n’était pas en état d’éclater. Le gouvernement au contraire avait ses mesures prises et pouvait au besoin réprimer un mouvement sérieux. Pourvu qu’aux Tuileries on fît bonne contenance et qu’on y laissât voir la ferme résolution de ne point céder à ce tumulte, sauf à donner le lendemain à l’opposition modérée telle satisfaction qu’on eût jugée possible, le succès était assuré. Aussi, rien ne peut rendre l’étonnement qui éclata, avec un mélange de colère chez les uns et chez tous de stupeur, lorsque ce même jour, 23 février, entre deux et trois heures, se répandit cette nouvelle : le roi cède à l’émeute, il congédie son ministère ! On s’attendait à tout, sauf à la défaillance et à l’abandon de ce côté. Les adversaires du cabinet eux-mêmes, les membres les plus vifs du centre gauche, comme frappés d’une lumière subite sur leur situation personnelle, laissaient voir une vraie consternation. Ceux-là seuls semblaient moins étonnés qui, dès la veille, dès le 22 au soir, avaient comme entrevu que, s’il y avait danger, ce n’était pas où l’on devait le craindre, pas au bureau du National. Ce jour-là, vers la fin de la matinée, au moment même où le désordre semblait près de s’éteindre, Duchâtel avait vu la reine, et ce grand cœur, cette âme courageuse, toujours ferme en de telles occasions, lui avait paru comme abattue sous le coup de faux bruits aussi absurdes qu’effrayans semés à plaisir autour d’elle. Bien qu’il comprît que ces machinations, dont il soupçonnait l’origine, n’avaient pas dû s’attaquer seulement à la reine, ce n’en fut pas moins pour lui une pénible surprise, lorsque, le lendemain, entrant vers deux heures chez le roi, qu’il avait déjà vu dans cette même matinée, et quitté plein de confiance et de courage, il le trouva perplexe, agité, laissant clairement entendre que la retraite du ministère le soulagerait d’un grand poids, qu’au dire de bien des gens c’était son seul salut, et semblant consulter du regard son interlocuteur, comme si poser, en un tel jour, une telle question, n’était pas du même coup la résoudre. Il est vrai qu’une heure auparavant une nouvelle, qui par malheur n’était pas fausse cette fois, avait dû brusquement le faire passer de la sécurité aux plus sinistres inquiétudes. On venait d’entendre dans la rue ce cri de vive la réforme ! poussé non par les