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cas, comme entraîné fatalement hors de sa voie? Si opposé qu’il fût au traité qu’on venait de conclure, s’en faire un moyen de retraite n’était-ce pas, lui aussi, sacrifier les grands motifs aux petits? Il se résigna donc et réprima son déplaisir, sans le laisser paraître ni au roi ni à ses collègues ; mais, à vrai dire, rien ne lui avait tant coûté. Bientôt les circonstances prirent une gravité telle qu’une autre occasion se fût-elle présentée de déposer son fardeau, il n’aurait pu songer à la saisir; sans compter qu’à ce même moment, sur la demande et par la retraite volontaire du maréchal Soult, la présidence du conseil passait aux mains de M. Guizot, et que pour rien au monde son collègue n’eût voulu par sa propre retraite se donner l’apparence de ne pas consentir de grand cœur à cette juste reconnaissance d’un fait déjà vieux de sept ans.

Que de fois, depuis cette époque, me suis-je demandé si d’autres sentimens moins scrupuleux, moins délicats, une moins noble nature, plus touchée de ses griefs et de son intérêt, se donnant la satisfaction de disloquer le ministère, n’aurait pas rendu par là même un immense service au pays! Quand les choses ont tourné de la pire façon, on s’imagine malgré soi qu’à suivre n’importe quel autre cours, elles auraient moins mal abouti; mais le plus souvent on se trompe à raisonner ainsi. Pour peu qu’on regarde au fond la catastrophe de février, on reconnaît bien vite que la durée plus ou moins prolongée du cabinet, la concession plus ou moins tardive d’une extension de droits électoraux n’y joue que le plus faible rôle. Ce n’est pas par là que l’édifice a croulé. Pour que la royauté de 1830 restât debout et traversât cette crise des banquets comme elle en avait franchi tant d’autres non moins redoutables au début, il eût suffi que, sous le poids de l’âge, le roi n’eût rien perdu de cette vigueur morale, de ce sang-froid devant le danger dont il avait fait preuve en tant d’occasions ; tout au moins aurait-il fallu que son héritier fût d’âge à payer de sa personne, qu’aucun membre de sa famille ne pût sembler autorisé à négocier avec l’opposition, et que les faiblesses et les hésitations de la couronne ne fussent pas révélées de si près à ceux qui travaillaient à la détruire. Comme aucune de ces conditions, par malheur, ne se trouvait réalisée en l’année 1847, il n’y a pas lieu de regretter que, par la retraite accidentelle d’un de ses membres les plus nécessaires, le cabinet n’eût pas été comme contraint de se dissoudre. Forcée de s’appuyer sur l’opposition, d’entrer par conséquent dans un régime de concessions successives sans chances sérieuses d’un temps d’arrêt énergique et opportun, la royauté n’en eût pas moins subi le même sort, moins brusquement et par degrés, mais voilà tout. Or qu’entre l’abdication morale et la chute, entre le 20 juin et le 10 août, il n’y ait, comme en février, que vingt-quatre heures d’intervalle, ou