Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre, non pas qu’il eût agi, parlé, voté comme il l’avait fait, la lutte une fois engagée, mais qu’il n’eût rien tenté pour la prévenir ou l’arrêter quand l’occasion le permettait encore. La seule chose qu’il se pardonnât était de n’avoir pas cru au genre de résistance opiniâtre et passionnée que devaient rencontrer les assaillans. Quelque idée qu’il se fût toujours faite des talens, de l’esprit, de l’habileté de M. Molé, il était loin d’attendre et ce sang-froid, et cet aplomb, et cette fermeté persévérante que pendant douze jours, constamment sur la brèche, le président du 15 avril parvint à communiquer à ses soldats et à ses alliés; mais tout le reste, ajoutait-il, un enfant l’aurait prophétisé. Comment ne pas prévoir que, même en supposant le plus entier succès, la gauche, après la victoire, serait intraitable et oublieuse, que les engagemens pris en son nom ne seraient jamais tenus, qu’elle ne voudrait donner à ces conservateurs, véritables auteurs du triomphe commun, qu’une mesquine part d’influence et d’autorité? Et d’un autre côté Comment d’avance n’avoir pas aperçu que ce parti de gouvernement qu’on prétendait reconstituer en le lançant dans cette échauffourée en sortirait comme en lambeaux, qu’on semait à pleines mains les colères, les rancunes, et qu’il faudrait des peines infinies et de longues années pour rétablir quelque harmonie dans ce chaos, sans jamais en pouvoir reconstruire une majorité telle qu’on l’avait rêvée? Tout cela lui semblait si clair et si visible qu’il s’en voulait sérieusement de ne l’avoir pas vu, d’avoir failli aux premiers dons de sa nature, la prévoyance, la perspicacité. C’était presque un devoir pour cette intelligence que de n’être jamais en défaut, et les reproches qu’il s’adressait m’auraient semblé fondés sans le souvenir toujours, présent de ces anxiétés incessantes qui, au moment suprême, l’avaient comme privé de toute liberté d’esprit.

On sait dans quelles péripéties, dans quelle inextricable confusion furent jetés tous les pouvoirs publics à l’issue de cette discussion de l’adresse de 1839. Personne n’était ni vainqueur ni vaincu, tout le monde était blessé. La chambre des députés se divisant en deux parts presque égales, la couronne avait dû charger les électeurs de dire à quelles mains les affaires du pays devaient appartenir. La réponse fut claire en ce seul point, que le cabinet du 15 avril devait céder la place; sur tout le reste, l’obscurité restait la même, et la nouvelle chambre disait si peu, à première vue, ce qu’on devait attendre d’elle, que personne ne s’aventurait à prendre le pouvoir. Vingt sortes de combinaisons furent vainement tentées, et pour que le mécanisme purement administratif ne cessât pas de fonctionner, pour que l’expédition des plus simples affaires n’en fût pas suspendue, il fallut installer dans les huit ministères huit hommes de bonne volonté, huit modestes intérimaires, et près de deux mois