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Dès 1836, il sentait l’urgente nécessité d’occuper les esprits de ces sortes de questions, de les intéresser aux travaux de la paix, de leur en donner non-seulement le spectacle, mais le bienfaisant usage. Déjà trois ans auparavant M. Thiers s’était fait grand honneur en obtenant des chambres, dès le premier retour de la confiance publique, un crédit de 100 millions, chiffre considérable alors, pour l’achèvement d’un certain nombre de grands travaux, routes, canaux, ports, monumens, etc.; il s’agissait de continuer son œuvre, mais sur une plus grande échelle, non plus pour achever, pour entreprendre. L’heure était solennelle, les imaginations travaillaient : quelques fragmens de chemins de fer déjà livrés au public éveillaient d’immenses espérances, de grands et utiles projets cherchaient à se produire; mais où trouver l’argent? Soit que l’état se chargeât de tout faire, soit qu’il se contentât d’aider l’industrie privée, il n’en fallait pas moins des centaines de millions. Duchâtel se posa ce problème : ne pas augmenter la dette, ne pas accroître les impôts, ne pas troubler l’équilibre du budget ordinaire, et néanmoins créer un fonds considérable, sorte de réservoir commun où tout projet utile approuvé et voté par les chambres trouverait des voies et moyens assurés. Ce tour de force, qui serait aujourd’hui parfaitement chimérique, n’était en ce temps-là, pour qui savait s’y prendre, nullement impossible, grâce aux soins prévoyans des financiers de la restauration et aux vaillans efforts du baron Louis après 1830, grâce au maintien du fonds annuel d’amortissement, qui, au milieu des plus grandes crises du trésor, avait toujours été intégralement respecté. L’ action quotidienne ne s’en exerçait plus que sur le 3 pour 100, le 5 ayant dépassé le pair; mais la partie de la dotation afférente à cette ancienne nature de rente, provisoirement non rachetable, n’en était pas moins exactement payée et mise en réserve chaque jour pour un emploi ultérieur. Or c’est cette partie sans emploi de la dotation de l’amortissement que le nouveau ministre des finances proposait d’affecter à l’exécution de travaux productifs, lesquels, devant augmenter notablement les revenus du trésor, offraient sous une autre forme un moyen de racheter la dette et de dégrever l’avenir. Cette combinaison, aussi pratique que savante, avait le triple avantage de rendre à la circulation un capital improductif, de faire exécuter, sans que les contribuables en sentissent le fardeau, un grand ensemble de travaux devenus nécessaires, et au lieu de laisser à chaque loi autorisant quelque nouveau travail le soin de déterminer d’une façon plus ou moins disparate par quelles ressources ce travail serait exécuté, d’établir à l’avance, pour tous les cas, avec ordre et méthode, un système financier uniforme et harmonieux. Ce qui n’était pas facile, c’était de faire admettre et surtout de rendre intelligible à une assemblée peu familière au mécanisme