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que plus tard et à deux reprises il devait occuper; mais une moins grande supériorité d’esprit, pourvu qu’il s’y mêlât une certaine dose de tact, de mesure et de discernement, pouvait suffire à faire encore un excellent ministre de l’intérieur, tandis qu’une aptitude financière comme la sienne, à la fois inventive et prudente, toujours active et toujours contenue, pénétrant dans les moindres détails et s’élevant aux idées les plus hautes sous le contrôle d’un esprit politique aussi ferme qu’étendu, c’était une rencontre si heureuse et si rare qu’il est à jamais regrettable de n’en avoir usé que pour trop peu de temps. Si de ces huit ou dix années qu’il devait encore passer au pouvoir, il en eût pu donner seulement la moitié spécialement aux finances, les mesures qu’il aurait fait prendre, les effets qui en seraient résultés, auraient, je n’en doute pas, autrement honoré son nom que les services non moins réels qu’il a pu rendre à sa cause en s’imposant tant de soins éphémères et ce travail incessant de surveillance et d’administration qui absorbe et assiège un ministre de l’intérieur.

Je dis plus, pour la cause elle-même le profit eût été plus grand. Le gouvernement de juillet est loin d’avoir mérité le reproche qu’on lui a souvent fait de ne s’être préoccupé que des intérêts matériels du pays; je l’accuserais plutôt de n’en avoir pas fait l’objet assez constant de sa sollicitude et de sa vigilance. Il était un gouvernement de paix, il devait avant tout fonder et féconder la paix. Son but, sa mission, son honneur, devaient être de doter la France du plus grand développement possible de la fortune publique et de lui assurer du même coup cette prépondérance qui désormais appartient en Europe à toute puissance qui a les meilleures finances et la prospérité la plus vraie. Ce but, il l’a bien poursuivi, il l’a même en partie atteint : il a fait, pour la satisfaction légitime de cette sorte d’intérêts, infiniment plus qu’on ne veut avoir l’air de s’en souvenir aujourd’hui, il a semé avec abondance ce que d’autres ont recueilli; mais au lieu d’accepter nettement et franchement son rôle, de ne prodiguer ses ressources qu’aux travaux productifs, de ne glorifier que les bienfaits de la paix, il s’est parfois passé la fantaisie de certaines attitudes à demi guerroyantes, détruisant d’une main ce qu’il avait fait de l’autre, alarmant, décourageant les entreprises qu’il avait provoquées, et s’aliénant ainsi pour les jours de péril des adhésions, des dévoûmens, qui auraient été sa sauvegarde et son rempart. Sait-on ce qu’il eût fallu pour échapper à ce danger? Ne pas donner peut-être aux affaires étrangères autant d’éclat et de retentissement, ne pas leur laisser prendre en quelque sorte le pas sur toutes les autres questions, les reléguer au contraire à leur vraie place sous un gouvernement de paix, dans une sorte de demi-jour et presque d’incognito purement bureaucratique.