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Le pouvoir et la majorité, se prêtant mutuelle assistance, avaient mené à terme des lois pratiques, fécondes, libérales, l’espoir et l’attente du pays. Le procès des insurgés d’avril, en dépit d’impuissantes menaces et de prophéties furibondes, avait été conduit et terminé avec fermeté et sagesse. Il n’y avait pas jusqu’à l’exécrable attentat de Fieschi qui n’eût servi la cause que ce fanatique croyait anéantir. En semant ainsi la mort autour du roi et de ses fils, sans les atteindre, il avait, à force d’horreur, rallié plus d’un dissident et donné l’éclatante occasion d’admirer ceux qu’il voulait frapper, de les voir tels qu’ils étaient, à la hauteur de leur mission, simplement et vraiment courageux. On pouvait donc, sans trop de présomption, compter sur de meilleurs jours, sur l’affermissement de nos institutions, sur l’apaisement des esprits, et la machine gouvernementale semblait enfin avoir repris ses mouvemens réguliers, lorsqu’un nouveau grain de sable vint se jeter dans ses roues, le plus imprévu des obstacles, une question secondaire, un petit moyen de finances, la conversion des rentes, autre traité américain, exploité comme lui, et comme lui s’emparant par surprise des novices de la majorité, si bien que le cabinet sombra dans le scrutin, et que tout fut remis en question.

Ce n’était plus, cette fois, comme deux ans plus tôt, au 4 avril; personne ne pouvait prendre la défaite à son compte et tout sauver en se retirant. Il n’y avait plus de pièces de rechange, aucun moyen de sauver les apparences et de ressusciter le cabinet en le remaniant. Cette excellente combinaison des deux élémens essentiels de la majorité réunis au pouvoir et l’exerçant en commun, il fallait y renoncer. Certaines gens disaient à la couronne que ce serait tout profit pour elle, qu’au lieu d’un cabinet unique avec lequel il lui fallait compter, elle pouvait s’en ménager deux, dont un toujours en réserve et prêt à remplacer l’autre. Ces conseils ne furent que trop suivis, la couronne tenta l’expérience qui lui était suggérée, et appela d’abord au pouvoir la partie je ne dirai pas la plus libérale, mais la moins résistante de l’ancien 11 octobre. Quant à la cause de sa chute, la question financière, la conversion des rentes, personne n’y pensait plus: elle fut, comme de juste, ajournée. C’était un changement de politique que la chambre avait non pas voulu, mais laissé faire, changement presque insensible à ce premier moment, d’une portée difficile à prévoir pour peu que l’expérience se prolongeât. Notre ministre du commerce en comprit aussitôt les conséquences inévitables. A ne consulter que le souvenir des plus amicales relations, il regrettait sincèrement de ne pas s’associer au nouveau président du conseil, qui l’en priait avec instance; mais ses plus fermes convictions lui commandaient la retraite. Sans faire à tout propos de la politique à outrance, il ne croyait pas le temps