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les électeurs de la Charente-Inférieure. Ce n’était pas la première fois qu’il siégeait dans une assemblée. Il avait fait partie du conseil des cinq-cents, où l’avaient envoyé les électeurs de Bordeaux, bien que noble, d’origine normande et descendant d’un des collatéraux du sauveur de Charles VII, qui avait lui-même arraché Vire aux mains des Anglais. Cette élection nouvelle, qui après un si long intervalle était venue surprendre M. Duchâtel, ce n’était pas pour lui qu’il l’avait acceptée; il le laissait bien voir tout en accomplissant avec scrupule ses devoirs législatifs et même en subissant la corvée fatigante de diriger, comme président d’âge, les débats d’une longue vérification de pouvoirs. Le secret de sa force était la joie de se sentir utile à ce fils, son orgueil, en lui assurant d’avance, sans les laisser tomber aux mains d’un autre, d’heureuses chances électorales. Et en effet le fils avait à peine accompli ses trente ans, le 19 février 1833, que le père déposait son fardeau, heureux de voir ses mandataires le transmettre presque sans dissidence au successeur de son choix.

Je n’insiste sur ce détail que pour mieux indiquer sous quelle heureuse étoile s’ouvrait cette carrière et à quel point la Providence semblait s’être complu à combler ce jeune homme de ses meilleures faveurs. Ce n’était pas même assez qu’il dût entrer ainsi, presque par droit héréditaire, à la chambre des députés; une fortune encore plus rare lui était advenue, celle de siéger dans cette assemblée, d’en être membre en quelque sorte, et de s’y faire connaître par les débuts les plus brillans, avant même que d’en faire légalement partie.

On se rappelle en quelle estime M. le baron Louis avait tenu ses premiers essais, et quel espoir il fondait sur lui. Lorsqu’au 13 mars 1831 M. Casimir Perier pria son vieil ami de reprendre sous sa présidence le portefeuille des finances, qu’il avait déjà tenu avec tant d’autorité et de succès dans les trois premiers mois du gouvernement nouveau et qui tombait des mains de M. Laffitte, ce fut, de la part du baron Louis, presque une condition de sa rentrée aux affaires que Duchâtel, comme conseiller d’état attaché à son ministère et commissaire du gouvernement, lui servirait d’auxiliaire et lui épargnerait ce qu’il redoutait le plus, les fatigues de la tribune, les communications orales avec les chambres. C’était un homme d’infiniment d’esprit, plein d’idées, d’aperçus et d’instincts en finances, parfaitement capable au besoin de s’expliquer, même en public, avec clarté et conviction, mais se défiant de lui, de la promptitude un peu tumultueuse de ses pensées et de la difficulté de les mettre en bon ordre à volonté, du premier coup. Grâce à un interprète à la fois jeune et expérimenté, toujours prêt à comprendre et à traduire dans un langage net et limpide ses intentions,