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qu’un sujet de juste appréhension, la perte d’une ancienne espérance. C’est en effet un autre souvenir dont la trace m’est restée vivante que sa joie instinctive et comme involontaire lorsqu’à Lausanne, cinq ans auparavant, on nous annonçait de France les premiers pas du nouveau roi montant au trône, cette censure abolie, ces avances habiles, ce début libéral. « Voici donc un moment où la réconciliation va devenir possible, écrivait-il alors (le 5 octobre 1824). Je ne saurais dire combien en théorie je serais heureux que la question de la dynastie fût définitivement résolue, et que la lutte n’eût plus à s’établir que sur la marche de l’administration, comme en Angleterre, sans hostilité de la nation contre la famille régnante, ni de la famille régnante contre la nation. La fortune met l’occasion entre les mains du nouveau roi, c’est à lui de la saisir... La question de la dynastie vidée, un point de départ commun devient possible, condition nécessaire de toute fondation stable... » On voit avec quelle sagacité cet esprit de vingt et un ans appréciait le bienfait d’une dynastie hors de cause, quel espoir il en avait conçu, et de quel œil il devait accueillir ce ministère du 9 août 1829, cette déclaration de guerre qu’aucune conciliation, aucun accommodement ne pouvait plus prévenir. De part et d’autre, la confiance était morte, et la force était le seul arbitre qui désormais devait tout décider. Aussi bientôt la crise alla se précipitant. De rudes, mais sincères remontrances provoquèrent un appel au pays; puis, lorsque le pays eut confirmé les remontrances, le malheureux monarque, accomplissant sa destinée, lança son fatal défi, et la monarchie disparut.

Au lendemain de la catastrophe, que devait faire un jeune homme respectueux envers le malheur, mais fidèle avant tout aux institutions libres qu’il convoitait pour son pays? Ce n’était plus le temps des paisibles études, des controverses spéculatives, des théories philosophiques; l’esprit de révolution, ivre de sa victoire, ne se contentait pas d’avoir vengé la charte, il voulait la détruire; les idées constitutionnelles, les libertés publiques greffées sur la monarchie lui étaient odieuses non moins que la royauté même, et il entendait bien s’en délivrer du même coup. Le devoir était donc, pour la jeunesse libérale, de rompre avec cet esprit et de grossir les rangs de ceux que la société appelait à sa défense, et qui pour s’abriter venaient d’improviser une royauté nouvelle, seul simulacre de monarchie qui pût se soutenir encore. Sans doute il eût mieux valu qu’un compromis fût possible, qu’on pût laisser intact le droit héréditaire, le fondement traditionnel, et n’imposer au dévoûment du prince appelé à gouverner qu’une charge temporaire, une simple régence; mais cet expédient, facile en apparence quand on y pense après coup, n’était au moment même qu’une pure utopie. Il faut n’avoir pas vu ces terribles journées, il faut ne pas savoir combien la France