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royauté, et perpétuer, pendant les laborieux efforts de la royauté nouvelle, dans les rangs de ses meilleurs amis, une sorte d’antagonisme plein de regrettables conséquences. Si le bonheur avait voulu que le droit héréditaire, mieux avisé, plus éclairé, au lieu de justifier comme à plaisir les prévisions du National, eût pris confiance en ce libéralisme qui souhaitait son maintien, si les transactions nécessaires que réclamait la partie saine et modérée de la nation n’avaient pas révolté et exalté ce prince infortuné qu’un élan de conscience irréfléchi poussait tête baissée vers l’abîme sans qu’il en soupçonnât la profondeur ni même la réalité, peut-être aurions-nous vu s’affermir peu à peu et posséderions-nous en toute plénitude ces nobles institutions sans lesquelles les sociétés modernes sont déchues désormais de toute dignité, de tout repos, de toute prospérité, inestimable bien que nous nous sommes laissé ravir dans un accès d’appréhensions puériles, et dont la revendication devient pour nous un devoir nécessaire en même temps qu’un obscur et laborieux problème.

Mais à quoi bon les utopies et les regrets? Ne sait-on pas que vers les premiers jours d’août 1829 le sort en fut jeté? Le Moniteur enregistra ce changement de cabinet, cette résolution dont tout le monde parlait depuis six mois et à laquelle personne ne voulait croire, véritable défi, désolant pronostic d’une lutte inévitable. La session était close; ces ministres nouveaux, dont les noms seuls semblaient une menace, eurent beau ne rien dire et presque ne rien faire, l’émotion ne se calma point. Jusqu’à l’issue fatale, pendant toute une année, la France fut dans cet état de stupeur et de fièvre, dans ce malaise et cette angoisse qui précèdent un violent orage. L’impression m’en est encore présente et ne saurait s’effacer, pas plus que je n’oublie la tristesse et les pressentimens, j’ose dire prophétiques, qui, à la nouvelle de cette incalculable faute, avaient comme envahi, sans qu’il parvînt à s’en défendre, l’ami dont nous parlons ici.

Personne assurément n’était moins engagé nue lui, soit d’affection, soit de reconnaissance, soit même seulement par les liens de famille et de monde, à la fortune de cette noble race qui se trouvait lancée en de telles aventures, et ce n’étaient ni sa jeunesse, ni ses opinions, plutôt vives que timides, bien qu’au fond modérées, qui se seraient troublées à l’idée d’une lutte du moment que la violation d’un droit lui en eût démontré la triste nécessité; mais la justesse et la lucidité de son intelligence lui révélaient à point nommé ce que ce fatal coup de tête allait coûter et à la liberté et à ce pays qu’il aimait tant. Quelle que fût l’issue de la lutte, soit le divorce si la résistance triomphait, soit l’union contrainte si force restait au pouvoir, il voyait dans cette rupture en perspective plus