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de se produire en France. Malgré notre âge, bien que les moins jeunes d’entre nous dussent, d’après la charte alors régnante, attendre encore près de quinze ans avant de songer pour eux-mêmes à la vie politique, nous ne pouvions assister en spectateurs oisifs à ce généreux mouvement. Nous l’avions même en quelque sorte aidé et presque provoqué. Le projet de dissoudre la chambre avant l’expiration du mandat septennal n’était alors connu qu’à Paris et de bien peu de gens. La France n’en avait pas soupçon. Que faire pour la mettre en éveil? Les journaux ne pouvaient rien dire : on avait tout exprès, pour s’assurer de leur silence, rétabli récemment la censure. Quelques-uns d’entre nous conçurent l’idée d’une association qui, à défaut de journaux, au moyen de brochures, tiendrait en garde les électeurs. En quelques jours, tout fut organisé : des nuées de petits écrits pleins de conseils et d’avertissemens, portant tous cette même devise : aide-toi, le ciel t’aidera, se répandirent d’un bout à l’autre du royaume avec un ensemble et une rapidité dont on ne peut s’étonner assez quand on pense aux imparfaits moyens que nous avions à notre usage. Chacun s’y mettait de cœur. Le dévoûment suppléait aux ressources. L’œuvre était entraînante et rassurante tout à la fois. Marcher à la conquête de droits si clairs et si incontestables sous la conduite de chefs expérimentés, d’un royaliste aussi fidèle, d’un esprit aussi droit et aussi profond que M. Royer-Collard, c’était faire de l’opposition en sûreté de conscience. La marge semblait si grande avant d’en venir aux imprudences et aux sérieux dangers! Néanmoins quand le but fut atteint au-delà de tout espoir, quand, après les élections générales et les réélections partielles, il devint évident que la chambre nouvelle donnait les garanties les plus réelles aux amis les plus exigeans d’une liberté sagement progressive, la mission de notre société, jusque-là légale ou tout au moins irréprochable, avait perdu sa raison d’être. D’après nos propres prévisions, nous n’avions plus qu’à nous dissoudre. C’était l’avis que Duchâtel avait émis tout des premiers, et qu’il fit prévaloir parmi nous. Seulement nous n’étions plus les maîtres de notre œuvre. L’association d’abord conçue, organisée et dirigée par nous, avait, chemin faisant, ouvert ses rangs à bien des membres d’origine diverse et de couleurs plus ou moins disparates. Il y en eut qui, trouvant là des cadres tout formés, des relations établies, tout ce qui constituait une société agissante et prospère, ne voulurent pas s’en dessaisir, espérant en tirer parti à d’autre fin que d’éclairer des électeurs. De là entre eux et nous de profonds désaccords suivis bientôt d’une rupture. Nous nous quittâmes, non sans prévoir qu’à l’avenir plus d’une fois encore nous prendrions ainsi des routes opposées.

Et je ne parle là que de cette fraction de la jeunesse libérale qui n’a-