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que plus fidèle et plus fervent au spiritualisme, s’étant bien assuré que seule cette doctrine tient suffisamment compte de tous les élémens complexes et contradictoires qui constituent notre nature, et seule promet à l’homme, en dehors des lois encore plus sûres que promulgue la foi, une règle efficace, un point d’appui moral.

Je n’insiste sur ces premiers pas, sur ces préludes de jeunesse que parce qu’ils ont, à mon avis, exercé sur la vie entière de M. Duchâtel une influence décisive. C’est dans ce noviciat philosophique si sérieusement accompli que se sont comme élaborés les convictions et les principes qui devaient plus tard régler ses opinions et présider à tous ses actes. Profond sentiment du droit, libéralisme large et sincère, élévation, franchise, netteté, modération, tout dans sa vie procède de ce point de départ, et néanmoins, je le répète, sa vocation n’était pas là, il lui fallait toute autre chose que les abstractions de la philosophie; encore moins se fùt-il accommodé au régime autrement abstrait des sciences exactes, bien qu’à certains égards il y semblât prédestiné. Dès l’enfance en effet, il calculait de tête avec une prestesse et une sûreté si étranges que d’illustres savans avaient tiré son horoscope et le tenaient d’avance pour grand mathématicien. Cette faculté, qui d’ordinaire n’apparaît chez certains enfans que pour s’évanouir dès qu’ils commencent leurs études et s’exercent à d’autres sujets, chez lui s’était perpétuée et jamais ne lui fit défaut; mais il avait pour s’en défendre d’abord un certain goût des lettres auquel il fut toujours fidèle, et qui, à l’époque dont nous parlons, était dans toute sa fraîcheur, grâce à des succès de collège d’un éclat encore tout récent. Déserter pour la géométrie et pour l’algèbre ces chefs-d’œuvre qu’il avait tant aimés et qu’il savait par cœur, jamais il n’y eût consenti; puis vint la psychologie, qui lui ouvrit des perspectives de tout autre nature, et enfin la meilleure sauvegarde contre tout penchant polytechnique était la qualité même de son esprit, le goût des faits réels, des vérités concrètes, l’instinct et le bon sens pratique, sa vraie supériorité. Déjà chez lui l’homme d’état se trahissait à son insu. Il se sentait comme attiré à se préoccuper du sort de ses semblables : le spectacle des sociétés humaines, les intérêts et les besoins des peuples, leurs décadences et leurs prospérités, les conditions de leurs progrès, de leurs conquêtes matérielles et morales, sollicitaient son attention. Ce fut seulement d’abord à l’étude du droit, du droit civil et du droit naturel, du droit moderne et du droit romain, à la législation comparée qu’il demanda des lumières; mais bientôt ses efforts et ses prédilections se concentrèrent sur une science plus spéciale, encore nouvelle en France, et déjà pleine de promesses, celle dont Adam Smith en Écosse, avant la fin du der-