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l’Allemagne, et où il faillit se convertir à la religion nouvelle du romantisme. Les faveurs des grandes dames expliquent aussi sans doute le bon souvenir qu’il garda de la capitale prussienne :


« Elles lui savaient gré, dit finement Henriette Herz, de s’être dans ses œuvres si exclusivement occupé d’elles et d’avoir cherché à pénétrer jusque dans les replis les plus secrets de leur âme. Surtout les dames… du grand monde lui étaient reconnaissantes de ce qu’il les représentait bien plus idéales et de plus haute portée qu’elles n’étaient en réalité. Cela avait sa raison en ce qu’il les peignit avant de les connaître, et que partant il put à leur égard laisser libre cours à sa riche et bienveillante imagination. Celles qu’il connut plus tard firent naturellement tout ce qu’elles pouvaient pour le maintenir dans ses illusions, et pour lui paraître aussi idéales que possible. C’est ainsi qu’à vrai dire il n’a jamais réellement connu les femmes du grand monde, bien qu’il en ait tant vu plus tard, et celles dont il a fait une connaissance plus intime, il les a toujours mal jugées… Elles ne se montraient pas à lui telles qu’elles étaient, elles s’appliquaient à ne faire paraître que leurs côtés les plus brillans. Par là, son jugement se troublait à l’égard des femmes qui ne voulaient passer que pour ce qu’elles étaient en réalité, et je me compte parmi celles-là. »


Il perce dans ce jugement, on le voit, un peu de dépit féminin, et le dépit est clairvoyant. Jean-Paul parlait peu en effet de la belle, moins encore de la sensible Henriette, mais bien du « célèbre Herz et de sa grande savante femme. » Or si l’on voulait bien passer pour instruite, on n’en espérait pas moins être remarquée comme aimable.

Si Jean-Paul ne brûlait pas assez d’encens aux pieds d’Henriette Herz, une autre célébrité du temps, le grand doctrinaire du premier romantisme, Schleiermacher, ne lui ménageait ni son admiration ni ses sympathies. C’était le comte Alexandre de Dohna-Schlobitten, son élève, qui, en 1794, avait présenté son ex-précepteur, alors âgé de vingt-six ans, à M. Marcus et à Mme Henriette Herz. Deux ans plus tard, Schleiermacher revint à Berlin pour s’y fixer cette fois comme prédicateur à la Charité, et c’est alors que commença cette longue intimité qui ne cessa guère qu’avec le départ de Berlin du trop sensible pasteur. Tout le monde ne crut pas au platonisme parfait de cette liaison entre le traducteur de Platon et la belle Juive ; mais tous les deux se défendirent toujours chaleureusement contre ces soupçons, qui ne semblent en réalité pas fondés pour qui a étudié avec soin la correspondance de Schleiermacher avec Henriette et avec sa propre sœur. Celle-ci était restée plus fidèle que le frère et à la tradition orthodoxe de la famille et à