Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle aperçut déjà le vide absolu que cachait toute cette phraséologie doucereuse. Les ligueurs se souvinrent longtemps d’avoir été pénétrés de la sorte par la jeune fille de seize ans. Il faut lire les lettres insipides de G. de Humboldt à Henriette pour se rendre compte de la pauvreté de toutes ces aspirations idéales. C’est, à la méthode et à l’expérience près, le même cours de morale qu’il fit quarante ans plus tard à Charlotte Diede, et qui, dit-on, était moins nécessaire à celle-ci que ne l’eût été « le moindre grain de mil. » La future femme de Guillaume de Humboldt s’était aussi égarée dans ce cercle, et s’y rencontrait avec une autre idole, — aucuns disent la fiancée secrète, — de son futur époux, Thérèse Heyne. Celle-ci quitta bientôt la ligue et le jeune baron pour épouser George Forster, le célèbre voyageur, qui devint député de Mayence à la convention nationale et tomba victime de la terreur. Sarah et Marianne Meyer, encore jeunes filles, Brenna de Lémos, la sœur de Mme Herz, Henriette et Dorothée Mendelssohn, les intelligentes et nobles filles du philosophe, Sophie Schubarth, la hardie amazone d’Iéna, qui se fit enlever à son premier mari par Clément Brentano, le frère de Bettina, — toutes les célébrités féminines de Berlin, en un mot, semblent avoir appartenu à cet étrange cénacle, dont Marcus Herz, le rationaliste, devait rire de bien bon cœur dans le cercle de ses amis, tous plus ou moins de la vieille école un peu voltairienne de Lessing et de Wieland.

Le contraste entre ces deux camps ne faisait cependant qu’augmenter l’attrait exercé par la maison d’Henriette Herz, dont la beauté était comme une des curiosités de Berlin. Mirabeau, lors de son séjour dans la capitale prussienne, n’eut garde de la négliger, et, comme Henriette parlait le français à merveille, elle put apprécier toute sa supériorité. « On oubliait tout quand il parlait, dit-elle dans ses mémoires après avoir donné un portrait repoussant de sa laideur ; jamais je n’ai rencontré pareille élégance de langage au milieu de la passion, et il se passionnait facilement. » On comprend de reste qu’il se soit aisément passionné en présence de la belle Juive. S’il faut en croire ses contemporains, elle augmentait encore volontiers le pouvoir de son invincible beauté par une légère nuance de coquetterie qui ne devait point échapper à Mirabeau, nullement novice, on le sait, dans cette science délicate. Elle en convient d’ailleurs elle-même dans ses confessions. Il est vrai qu’on faisait dans ce cercle d’anatomistes moraux d’étranges distinctions et classifications entre « la coquetterie libérale et la coquetterie illibérale, celle qui se propose de captiver l’homme tout entier et celle qui se contente d’éveiller ses sens. » C’est Schleiermacher qui parlait ainsi, et il considérait la première de ces coquetteries non pas comme un défaut, mais comme « une qualité