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gloire et profit même de cette instruction de linguiste. Un petit vieillard français, du genre de ceux que la gallomanie de Frédéric avait en si grand nombre attirés à Berlin, lui enseignait en même temps le menuet, afin que rien ne manquât à ses talens de société. Sans doute le théâtre d’amateurs qui égayait les maisons Cohen et Itzig lui était interdit ; mais, à la façon du temps, on la laissa libre de lire les comédies qu’on lui défendait de jouer, et il va sans dire qu’elle lut du même coup tous les romans dont elle pouvait s’emparer, surtout les romans à grands sentimens si fort à la mode à cette époque. De bonne heure, elle attira l’attention de tous par sa beauté extraordinaire, et elle se rappelait encore avec complaisance, dans son extrême vieillesse, d’avoir été tout enfant remarquée et caressée par mesdames les princesses royales, sœurs de Frédéric II ; ce fut à l’occasion de la fête israélite des tabernacles que la cour avait voulu voir, et où la petite Henriette apparut ravissante dans un gracieux costume blanc. Si elle se rappela toujours cet incident, elle n’oublia pas davantage les complimens que lui adressaient déjà les officiers de la garde royale.

A l’âge de douze ans et demi, elle fut fiancée au docteur Marcus Herz, soit que le père connût personnellement ce confrère très distingué et crût assurer ainsi le bonheur de son enfant, soit qu’il se servît d’un schatchin ou courtier conjugal, comme les familles israélites avaient coutume de le faire dans ces circonstances. Les années d’attente durent naturellement être plus longues qu’elles ne le sont d’habitude chez les Juifs, qui ont l’usage français de faire suivre d’assez près les fiançailles par les noces. Toutefois, dès que Henriette eut atteint l’âge de quinze ans, le mariage eut lieu. On a encore d’elle un portrait de ce temps, dû au pinceau de Dorothée Therbusch et qui la représente en Hébé : on le dit ravissant. Le célèbre Schadow, un des habitués de son salon et même un de ses intimes, a laissé d’elle un buste remarquable qui la montre à l’âge de vingt ans, et j’ai sous les yeux une gravure excellente du portrait qu’Antoine Graff fit d’elle en 1794, c’est-à-dire au moment de sa plus grande beauté, à trente ans. Il est vraiment difficile de se figurer un visage plus complètement beau, La tête, un peu petite, comme celle des statues antiques, est légèrement agrandie par une chevelure abondante, retenue, selon la mode du temps, par un simple ruban, un peu au-dessus d’un front pur, rond, mais qui manque peut-être de largeur, La figure ovale, la bouche extrêmement petite, pleine et fine à la fois, le nez absolument grec, sont comme illuminés par des yeux de la forme la plus pure, plus lumineux encore que profonds. Le fichu à la Marie-Antoinette, — les femmes allemandes n’avaient pas encore échangé la belle mode nationale dont parle Tacite contre la cravate lourde et masculine