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Lévy (née en 1763), qui, après la mort de son père Itzig et jusqu’après Iéna, continua de tenir maison ouverte pour la noblesse et les beaux esprits de la Marche. Pourtant c’était là une maison plus française encore qu’allemande ; on n’y parlait que la langue de Voltaire ; l’éducation y avait été faite par un précepteur français, la plupart des hôtes étaient Français. Mirabeau y était venu assidûment autrefois ; aujourd’hui le comte de Tilly et les autres émigrés y passaient leur vie, Mme de Genlis et Mme de Staël y paraissaient souvent. Revenons donc au monde allemand, et avant d’arriver chez Rahel Lévin, qui fut vraiment le soleil de cette constellation et l’âme de Berlin, entrons dans une autre maison juive, plus modeste que les palais opulens des Itzig, des Éphraïm, des Cohen et des Meyer, mais où nous trouverons, à défaut de grands seigneurs, des noms qui ont profondément marqué dans l’histoire de l’esprit allemand, et qui ne seront jamais oubliés. Rahel sut tout réunir et concilier : chez elle, nous rencontrerons des hommes de guerre et des diplomates, des artistes et des savans ; elle se souciait peu du rang, du titre, de la renommée de ses hôtes et de ses amis : elle ne prisait que l’originalité et le naturel, le reste lui importait peu. Aussi sera-ce chez elle que nous pourrons étudier le mieux toutes les curieuses figures d’hommes qui composaient la haute société de Berlin de 1789 à 1815 ; mais pour voir en déshabillé les penseurs et les poètes du temps, ce n’est pas chez elle qu’il faut aller d’abord, c’est chez sa coreligionnaire et sa rivale, Henriette Herz. Nous y trouverons G. de Humboldt et Schleiermacher, Jean-Paul et le jeune Louis Börne, plus tard encore Chamisso, rassemblés autour de la belle et froide idole qu’on a coutume d’appeler la Récamier allemande.


II

Henriette Herz (née à Berlin en 1764) avait été élevée d’après les plus strictes traditions mosaïques. Son père, le docteur de Lémos, dont la famille était d’origine portugaise, avait épousé une Juive française, et le ménage Lémos était un ménage modèle, chose qui n’est point rare parmi les Israélites. Les deux époux, qui rivalisaient d’orthodoxie et de rigorisme religieux, y joignaient de grandes vertus patriarcales, et leur affection réciproque, sincère et profonde, en avait pris je ne sais quelle teinte sévère. Ce puritanisme n’excluait cependant pas le soin des formes extérieures, ni le souci d’une culture intellectuelle assez analogue à celle qui distinguait la famille Mendelssohn. Comme il est d’usage dans les familles portugaises qui forment une aristocratie de sang parmi les Israélites, on y apprenait surtout les langues étrangères, et Henriette devait tirer un jour