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sur la toile de l’église de Saint-Augustin représentant les deux pèlerins en adoration devant la Vierge. Son procédé consiste à plonger une partie de la scène dans une ombre noire, et à faire éclairer par contraste un ou plusieurs de ses personnages d’un reffet énergique. La première fois qu’on voit cette diablerie, on est vivement intéressé ; mais elle perd beaucoup de son attrait lorsqu’on s’est familiarisé avec le spectacle des nuits romaines. Il n’y a là aucun secret véritable de la lumière, il n’y a que la reproduction exacte d’un phénomène d’ordre secondaire. Il y a loin de cette magie de lanterne magique au clair-obscur hollandais et au rayon lumineux de Rembrandt.

C’est ce même phénomène qu’a saisi et exploité jusqu’à satiété le Hollandais Honthorst, que les Italiens ont si justement appelé Gherardo della Notte, — le contraste de l’ombre nocturne et d’une lumière artificiellement disposée ; seulement il fait ses ombres moins intenses, plus blondes, et ses lumières moins vigoureuses. Comme l’occasion ne se présentera plus pour nous de citer Honthorst, que nous avons rencontré par hasard sur notre chemin, disons que Rome possède de lui divers ouvrages qui valent la peine d’être regardés, lorsqu’ils se présentent à vous sans que vous vous soyez donné la fatigue de les chercher, fatigue que je ne conseille à personne, étant donnée la brièveté de la vie. Donc si le hasard vous conduit vers lui et que le jour soit propice, consacrez dix minutes à la Décollation de saint Jean-Baptiste de Santa-Maria-della-Scala. Il est un second tableau que vous ne pouvez manquer de rencontrer, car il est dans la même chapelle que le délicieux Saint Michel du Guide, à l’église des Capucins. Cette toile représente le moment où le Christ, après la flagellation, est salué ironiquement roi des Juifs par la canaille, qui vient de lui remettre aux mains le sceptre dérisoire de roseau. La passive résignation du Christ a été bien rendue ; c’est plutôt, il est vrai, la résignation d’un disciple de saint François que celle du Messie, fils de Dieu ; aussi, en considérant ce Christ, je pensai à ce passage des Fioretti où il est raconté comment le bon Bernardo di Quintavalle, étant à Bologne, se laissait tranquillement insulter et tirer la barbe par tous les polissons de la ville sans répondre un seul mot, lorsqu’un citoyen qui contemplait ce spectacle avec admiration vint arracher le fidèle disciple du réformateur évangélique à cet indigne traitement en disant : « Vraiment, voilà bien le plus haut état de religion dont j’aie jamais entendu parler ! » Les trémoussemens facétieux de la canaille ont aussi été fort bien rendus, et avec beaucoup de diversité drolatique. Si les capucins de la piazza Barberini regardent quelquefois ce tableau, et si le voisinage du beau Saint Michel, qu’ils sont justement fiers de