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facilement acquis, le recours incessant à la force, les bizarreries du point d’honneur, la susceptibilité hautaine qui pour une injure veut du sang : de là les coups de couteau et les embuscades à main armée, et voilà comment ici-bas tout s’enchaîne.

La cour du cloître conduit au baptistère de Constantin, édifice, comme l’église, d’origine antique et de construction moderne. Sur les côtés de la rotonde, où chaque année, pendant la sainte semaine, sont baptisés les mécréans convertis à la foi, descendans de Sarah ou descendans d’Agar, deux petites statues en bronze réclament un instant votre attention. L’une est un saint Jean l’évangéliste de Jean-Baptiste Délia Porta, œuvre forte et mâle, où les types traditionnels du disciple bien-aimé ont été transformés. Ce n’est plus le beau jeune homme donné pour fils adoptif à la Vierge par le Christ mourant, ce n’est pas davantage le vieillard visionnaire de Patmos, c’est un homme fait, de corps robuste, de physionomie grave, plein de pensée, et animé par une inspiration intime d’une extrême intensité. L’autre est une statue de saint Jean-Baptiste, exécutée d’après l’original de Donatello. Est-ce parce que le Baptiste est le patron traditionnel de Florence que le grand sculpteur florentin l’a si bien compris ? Tous ceux qui ont vu à la galerie des Offices son petit Saint Jean à côté du Bacchus de Michel-Ange ont certainement emporté dans leur mémoire l’image de ce jeune homme maigre, à l’élégante austérité. Il m’a semblé que le saint Jean du baptistère de Saint-Jean de Latran se rapprochait beaucoup de celui que le propre frère de Donatello, Simone, a exécuté pour une des chapelles de la vieille église de San-Clemente, où les curieux pourront l’aller chercher. Dans les œuvres des deux frères, le saint a été représenté avec une grande austérité, si grande qu’elle touche à la sécheresse. La poésie de la vertu n’est sous aucune de ses formes dans ces deux figures, qui sont celles, non d’un prophète sauvage et inspiré, mais d’une sorte de puritain juif, de radical de la morale et de la vie sévère. Les prédicans de la réformation purent ressembler souvent à ce type de saint Jean-Baptiste. La façon dont les deux frères de Florence ont conçu le saint est-elle la plus vraie ? Je ne sais trop, et c’est là une question à renvoyer à M. Renan ; en tout cas, c’est bien une des façons dont on peut le comprendre, une des plus ingénieuses et des plus heureuses.

Le paysage qui s’étend devant Saint-Jean de Latran est d’une originalité unique. La superbe place avec son immense obélisque pour centre, l’édifice de la Scala santa, la rangée d’arbres qui va vers Santa-Croce-in-Gerusalemme, les maisons à mine délabrée éparses sur la route, les inégalités du terrain, çà et là effondré par les pluies et laissé sans réparation, les ruines, la longue file des