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conditions indispensables font le plus souvent défaut. La fille-mère repoussée par tous, sans travail, sans ressources, parfois sans asile, peut à peine se nourrir et n’offre à son enfant qu’un sein tari par les privations. Si elle conserve auprès d’elle son nouveau-né, il souffre et souvent meurt avec elle ; si, dans l’espoir de se sauver par le travail en gagnant pour son enfant le prix du lait qu’elle n’a pas, elle le met en nourrice, elle ne peut, faute d’argent, le confier qu’à une de ces détestables industrielles dont le toit de chaume n’est trop souvent que l’antichambre de la mort. Si, plus malheureuse encore, elle l’abandonne à la charité publique, sa vie alors est dans un extrême péril, car la mort l’attend presqu’à coup sûr au seuil de ces tombeaux qu’on appelle les hospices d’enfans trouvés. On ne saurait donc s’étonner que la mortalité des enfans naturels, de la naissance à un an, soit partout supérieure à celle des enfans légitimes du même âge.

D’après les statistiques publiées par le ministère de l’agriculture et du commerce pour les huit années 1858-1865, sur 100 enfans légitimes âgés de moins d’un an, il en est mort 16 ; sur 100 enfans naturels, il en est mort 32, c’est-à-dire le double. Si pour les autres états de l’Europe aucun document ne nous permet d’établir avec quelque rigueur la même comparaison, nous pouvons du moins remarquer que les pays où il y a le plus grand nombre relatif d’enfans naturels sont aussi ceux où la mortalité des enfans à la mamelle est le plus élevée. Ainsi, pour 1 enfant naturel, la Bavière compte à peine 4 enfans légitimes, l’Autriche et la Prusse en comptent 10, la Belgique en compte 11, la France 12, la Hollande 22, et l’on retrouve à peu près le même ordre, si l’on classe ces pays d’après la mortalité. En tête vient la Bavière, qui perd, comme nous l’avons vu, 30 enfans sur 100, puis viennent l’Autriche et la Prusse ; la France conserve son rang, mais il y a interversion pour la Hollande et la Belgique.

A la faiblesse native plus fréquente pour les enfans naturels viennent s’ajouter plus souvent aussi pour eux le défaut de soins et une mauvaise alimentation. De plus beaucoup sont abandonnés, tombent à la charge de l’assistance publique, et la mortalité de ces malheureux enfans est véritablement effrayante. De 1839 à 1858, elle a été de 58 pour 100, c’est-à-dire de plus de moitié, pour les enfans assistés du département de la Seine envoyés en nourrice par les soins de l’administration des hôpitaux. Malgré tous les efforts, malgré une surveillance plus active, elle était encore en 1864 de 39 pour 100. Une excellente mesure prise à cette époque, mesure consistant à ne laisser séjourner à l’hospice des enfans trouvés que ceux qui sont malades et à envoyer tous les autres à la campagne,