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A quelles causes peut-on attribuer d’aussi notables différences ? Il est difficile de se prononcer sur ce point avec quelque certitude ; il faut dire cependant qu’en Angleterre, où la mortalité est à coup sûr peu élevée, la plupart des mères (et l’exemple part de haut) allaitent elles-mêmes leurs enfans, ou, lorsqu’elles ne peuvent le faire d’une manière complète, s’aident du biberon, mais ne se séparent de leurs nouveau-nés que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. En Belgique, comme dans la Grande-Bretagne, l’allaitement par la mère est en légitime honneur, et si les femmes de la classe aisée nourrissent elles-mêmes leurs enfans moins souvent qu’en Angleterre, ceux-ci sont confiés à des nourrices qui ne quittent pas ou ne quittent que très rarement la demeure maternelle. Ce que nous disons pour la Belgique, nous pouvons le répéter pour la Prusse, avec cette différence que l’allaitement artificiel y est un peu plus employé, surtout par les mères qui habitent les grandes villes, et qui par cela même d’une santé peu robuste sont moins fréquemment aptes à l’allaitement naturel. En Bavière, où la mortalité atteint son maximum, les mères, tout en conservant leur enfant auprès d’elles, le confient trop souvent à une femme nourricière (Kost-Frau) qui emploie, pour tromper la faim et calmer les cris de son pensionnaire, un petit nouet de linge rempli d’un mélange de pain, de lait et de sucre, mode d’alimentation des plus défectueux.

Les chiffres que nous venons de produire montrent que, si la France est un peu moins favorisée que la Belgique, elle est loin d’être dans une situation fâcheuse relativement aux autres états de l’Europe, et ce n’est pas à la mortalité excessive des nouveau-nés qu’il faut attribuer le faible accroissement de la population française. En dehors du malthusianisme, une autre cause contribue gravement à la diminution du nombre des naissances : c’est la conscription, qui retarde l’époque du mariage, qui affaiblit la race en ne laissant pour la perpétuer que les hommes entachés de quelque infirmité ou de quelque vice de conformation.

De ce que la mortalité des jeunes enfans est moins élevée en France que dans la plupart des pays de l’Europe, cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse être diminuée, et il ne s’ensuit pas fatalement que nous devions nous résigner à perdre un sixième de nos nouveau-nés ; mais il faut se garder ici des illusions et des exagérations qui compromettent les meilleures et les plus justes causes. Dire, comme un orateur l’a proclamé à la tribune de l’académie, que « 120,656 enfans sont victimes chaque année des procédés barbares qui sont mis en pratique dans notre pays pour élever les enfans du premier âge, » c’est croire possible et réalisable que la mort n’atteigne pas plus de 1 enfant sur 20, tandis qu’elle en