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extraordinaires, de grands conflits de passions, un intérêt dramatique. Il faut les prendre pour ce qu’ils sont, des peintures naïves d’un genre de vie très primitif, mais nullement dépourvu d’idéal. Le héros en est le paysan norvégien, maître absolu dans sa ferme, souvent à la fois laboureur, jardinier, pâtre, bûcheron, jouissant malgré cela d’une éducation et d’une indépendance qui le rendent capable d’une vie intellectuelle et morale. Autour de lui se groupent épisodiquement le maître d’école, conseiller de la famille, et le pasteur, généralement humain et sage, sorte de providence paternelle qui n’intervient que dans les grandes crises. L’homme, dans ce grave isolement, devient silencieux et contemplatif, ses sentimens sont peu nombreux, mais énergiques et persistans. Là comme partout il a ses heures de gaîté folle, mais sa vie est comme enveloppée d’une pensée religieuse. Cela se peut-il autrement dans ce cadre grandiose et sévère qui l’enferme ? — Notre conteur peint ces sites non pas en touriste, mais comme quelqu’un qui en sait le secret. La sobre description reflète le paysage comme il doit se refléter dans l’âme du montagnard. Voici une esquisse alpestre. « Au printemps, Aslaug, la belle pastoure, prit le chemin de l’alm (haut pâturage) avec son troupeau. Et quand le jour chaud se couchait sur les vallées, que le haut rocher s’élevait hardiment dans le ciel frais, au-dessus des vapeurs paresseuses pompées par le soleil, quand les cloches des troupeaux se mêlaient aux aboiemens des chiens et que la belle Aslaug chantait à la tyrolienne ou soufflait sur sa corne sa mélodie traînante, les jeunes gars du village se sentaient pris d’un grand mal du cœur lorsqu’ils regardaient là-haut. » Les paysages d’hiver n’ont pas moins de cachet. La montagne est glacée du haut en bas, on n’entend que le vent qui court sur la neige et l’amoncelle par collines, on voit les fermes couchées sur ce vaste tapis blanc comme de lourdes meules de foin d’où jaillissent des étincelles. « Une lumière brillait dans la maison, et la montagne noire, énorme, pendait sur elle. La mer gelée brillait dans le fond, blanche et luisante avec sa ceinture de forêts ; la lune montait dans le ciel et reflétait la forêt dans la glace. » Le conteur nous fait pénétrer ensuite dans ces paisibles intérieurs où tout annonce une antique tradition. La chaise sculptée semble prête à parler, la pendule glousse familièrement, et le feu de bouleau qui crépite au foyer raconte, pendant les longues veillées, l’histoire tragique ou souriante des ancêtres. Dans la belle saison, nous voyons les murs se tapisser de feuillages odorans, et les branches de genévrier semées par terre pour célébrer le retour d’un fils ou dire la bienvenue à une fiancée.

La plus caractéristique de ces histoires est celle d’Arne. Ce paysan