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« Et le petit Niels Finn pose son pied dans, la neige. — Va-t’en » méchant gnome, quand je marche doucement ! — Hi ! ho ! ha ! dit la voix de l’abîme.

« Niels de son bâton frappe à droite, frappe à gauche ; la neige jaillit en poussière. — As-tu vu le génie de la montagne qui s’est levé là-bas ? — Hitlihou ! dit la voix de l’abîme.

« Voilà un patin qui reste dans la neige ; suis-je sot ! Niels veut le ressaisir,… et tombe à la renverse. — Prends-le donc ! dit la voix de l’abîme.

« Il s’enfonce dans la neige, il trépigne, il gronde, — mais toujours plus bas l’attire un charme terrible. — Ça va bien ! dit la voix de l’abîme.

« Le bouleau se met à danser, le sapin rit dans sa barbe, — comme s’il y en avait deux cents contre lui. — Vois-tu bien ? dit la voix de l’abîme.

« Le rocher ricane et lance une avalanche, — mais Niels serre les poings : je ne me rends pas encore ! — Mais bientôt ! dit la voix de l’abîme.

« Et la gueule de neige s’ouvre béante, et la nuée roule sur sa tête. — Et Niels Finn pensa : voici ma tombe ouverte ! — Est-ce fini ? dit la voix de l’abîme.

« Dans la mer de neige deux sabots regardent tristement autour d’eux. — C’est tout. Du reste, silence et neige, neige et silence. — Où est Niels ? dit la voix dans l’abîme. »


Ce petit montagnard est un vrai Norvégien, Comme il accepte vaillamment, la lutte avec l’effrayant génie ! comme il se défend et ne se rend qu’au fond du gouffre ! mais aussi quelle conjuration démoniaque dans la ravine, quelle sarabande dans les arbres, quelle fascination, quelle ironie féroce dans la voix caverneuse de l’abîme, et quelle désolation navrante dans ces sabots effarés, « qui regardent » et semblent chercher leur maître !

Adieu l’hiver et ses terreurs au mois de juin ! On danse aux vallées, on gravit les versans, on s’appelle, on se répond à tous les étages de la montagne. La jeunesse se réunit, et l’amour discret et voilé se glisse dans toutes les chansons. La vive jeune fille enjouée des vallées plus chaudes apparaît au montagnard sauvage et timide comme une fée étrange qui lui jette un charme.


« La svelte Venevill s’en vint sautant, le cœur léger, vers le bien-aimé. Elle chantait, et sa voix claire résonnait par-dessus le toit de l’église : bonjour ! bonjour ! Et les oiseaux, fous dans les haies vives, chantaient avec elle. A la Saint-Jean, il y aura danses folles et cris d’allégresse. — Mais la tressera-t-elle sa couronne de fiancée ?