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l’ouragan. Souvent le presbytère était entouré de remparts de neige comme un château-fort. Grande ressource pour l’alerte gamin : la mère voulait-elle le punir, vite il grimpait sur la montagne de glace ; arrivé au sommet, il appelait son père, qui étudiait son sermon juste en face de lui, et l’honnête prédicateur demandait en riant grâce pour son fils. Ce père ayant été transféré dans le Romsdal, le petit montagnard indocile fréquenta l’école, et n’y fit pas merveille. Il était de ces natures profondes qui semblent dormir pendant l’adolescence ; elles ont l’air de ne rien voir, mais elles rêvent, et ce rêve est un travail incessant. Ah ! si elles pouvaient faire comme les autres et répéter machinalement la leçon qu’on leur serine ! Elles ne le peuvent pas, car elles ont en elles tout un monde de sentimens et de pensées qu’elles ne savent exprimer. Alors on les traite de sots, et on les raille sans pitié. C’est ce qui advint à l’enfant farouche et songeur du Dovrefield. On se moqua beaucoup de sa lourdeur. Il n’en fut que plus revêche, se raidit, se concentra, et, comme son héros Sigurd, supporta beaucoup en silence ; mais, grâce à sa vigueur, le jeune homme qui sortit de là était déjà un caractère fortement trempé et un esprit original. Il garda cependant de ces premières humiliations un fonds d’amertume et de sauvagerie qui a son charme, puisqu’il cache une sensibilité exquise et vraie.

Biœrnson devint étudiant à Christiania. Après deux visites au théâtre, il fut fixé sur sa vocation, et, sans avoir lu un drame de sa vie, il en écrivit un. Chose plus singulière, l’essai fut admis, et le jeune auteur eut ses entrées libres. Puis, à mesure qu’il vit d’autres pièces, il reconnut les défauts de la sienne et finit par la retirer. Voilà bien l’honnêteté et la persévérance du Norvégien. Il avait jeté son drame au feu, mais de ses cendres il avait vu sortir, brillant phénix, un idéal nouveau. Ne se sentant pas encore la force de lui donner une forme, il se mit en tête de le prêcher aux autres ; à cet âge, on croit qu’on peut avec des critiques réformer auteurs, acteurs et public. La suite va de soi ; l’audacieux étudiant, qui disait avec trop d’inexpérience des vérités trop dures, fut plaisanté, détesté, calomnié et mis au ban de la société littéraire de Christiania. Heureusement il trouva des amis ailleurs. Dans un voyage à Copenhague, il y rencontra d’excellens protecteurs. Nul n’est prophète en son pays. A Christiania, il avait paru trop Norvégien aux Norvégiens eux-mêmes ; dans la capitale danoise plus intelligente, il plut par son étrangeté. Soutenu, encouragé, il loua une mansarde, se mit à l’œuvre et publia bientôt après ses Contes norvégiens, qui en peu de temps le firent connaître dans tout le nord. Depuis il a dirigé le théâtre de Bergen, fondé un journal à Christiania et visité Rome, où il écrivit son grand drame, Sigurd. Quoiqu’il ait encore des